« N’ayant qu’une chambre louée pour salle de classe, il est très urgent de construire une maison d’école et de la meubler. M. Fontan, instituteur en retraite, actuellement Maire, me fait espérer que les améliorations ne se feront pas attendre. Le plan et devis sont déjà faits. »
C’est par ces mots que Jean-Bertrand Mengue traite la question de l’enseignement à Cathervielle dans sa monographie communale datée du 12 juin 1886. On regrettera d’autant plus cette description fort sommaire que l’instituteur manifeste des qualités littéraires remarquables, autant dans son récit de la chasse que dans la présentation du paysage : « Les environs de Cathervielle sont délicieux. Ils forment un paysage charmant et sympathique qu’on aime à première vue. Cette réunion de maisons placées en amphithéâtre ressemble à un petit belvédère. On y jouit d’une perspective magnifique. Les vents qui circulent doucement sur ce monticule entraînent ou épuisent l’excès d’humidité dont pourrait être saturée l’atmosphère et y entretiennent pendant l’été une agréable fraîcheur. Aussi quand au milieu d’un air embrasé la campagne ne retentit au loin que du rauque chant du grillon, avec quel doux plaisir ne va-t-on pas s’asseoir sous ces dômes de verdure formés par de vigoureux frênes que le souffle des zéphirs caresse en balançant sur la cime du tertre enchanté. »
1 – Le mystère de la chambre d’école
Pour seule information sur cette « chambre louée pour salle d’école », Jean-Bertand Mengue en dessine le plan comme il lui était demandé. Ce plan pourrait permettre de faire quelques hypothèses sur la localisation du bâtiment, compte tenu notamment des trois marches permettant d’y accéder, ainsi que de l’emplacement des ouvertures. Un premier regard à partir d’une visite virtuelle du village, permet d’identifier une maison qui pourrait répondre à ces critères… A vérifier in situ ! Il ne fait aucun commentaire sur ce local, contrairement à la plupart des auteurs des autres monographies qui décrivent des chambres de dimensions réduites, mal éclairées et mal aérées, sans aucun préau ni dépendances, situées même parfois dans des bâtiments délabrés.
C’est dans les délibérations du conseil municipal en 1882, 1883 et 1884 qu’on en trouve une description, peut-être un peu caricaturale dans la mesure où il s’agissait alors de justifier la construction d’une maison d’école et de faire valoir des arguments pour obtenir des subventions les plus élevées possibles… Délibération du 8 février 1882 : « vu la grande nécessité d’avoir une maison d’école dans la commune pour sortir les enfants d’une maison malsaine surtout en temps humide où leur santé est gravement compromise et ne trouvant pas d’autre locaux convenable dans la commune pour la loger… » Délibération du 12 mai 1883 : « vu la grande nécessité de posséder une maison d’école, vu surtout que les enfants sont logés dans une salle de classe très malsaine et presque souterraine et qu’il est impossible de trouver d’autre chambre d’école dans toute la commune, motif très sérieux au vu de la santé de la jeunesse qui fréquente l’école » Délibération du 5 juillet 1883 : « vu la situation où se trouve la salle d’école inhabitable sous tous les rapports d’insuffisance et de salubrité, considérant que les enfants sont très mal logés et une impossibilité de les loger ailleurs, même l’instituteur sans logement, » Délibération du 30 mai 1884 : « considérant que la commune est encore aujourd’hui sans local scolaire, que la santé des enfants et de l’instituteur est compromise car la maison d’école ressemble [plus] à une triste écurie qu’à une maison d’école. »
Quant à l’équipement de cette « chambre d’école », il devait être assez rudimentaire. Une délibération du conseil municipal du 8 février 1849 nous apprend l’usage fait par la commune d’une subvention de 30 fr attribuée par le Département : « La commune a été comprise pour une somme de 30 fr dans l’état de répartition du crédit de 500 fr alloué au budget départemental de 1849 à titre de secours pour achat et renouvellement du matériel et du mobilier de l’école primaire. Le maire l’a employée de la manière suivante : 15 fr pour payer les restes de la confection de trois tables en bois de frêne et de sapin sur une longueur de trois mètres chacune, 6 fr pour la confection d’un banc en bois de frêne sur une longueur de trois mètres, 3 fr pour achat d’une carte de France, 3 fr pour achat de trois nouveaux testaments, le tout faisant trente francs. Le conseil considérant que cette dépense est régulière a délibéré et délibère à l’unanimité qu’il y a lieu de l’approuver. »
2 – A la recherche d’un terrain
Les conditions insalubres dans lesquelles fonctionnait l’école de Cathervielle jusqu’au début des années 1880 n’avaient guère ému les conseillers municipaux alors même que, dans ce petit village qui comptait environ 150 habitants dans les années 1830-1870, six enfants de la commune étaient devenus instituteurs : – Jean-Louis Fontan, né le 9/10/1817, instituteur à Billière puis à Cathervielle en 1846-1848, à Cirès en 1860-1862, à Billière en 1864-1877 ; il sera maire de Cathervielle de 1881 à 1887. – Joseph Comet, né le 10/3/1825, instituteur à Garin de 1846 à 1866 puis à Cathervielle de 1866 à 1878 – Jean-Pierre Comet, né le 15/3/1835, instituteur à Garin de 1866 à 1886. – Jean-Pierre Lassalle, né le 19/11/1830, instituteur à Gouaux en 1886, après avoir été instituteur à Billière en 1860-1863, à Cathervielle en 1878-1882. – Jacques Seignourat, né le 23/1/1843, instituteur et secrétaire de mairie à Castillon en 1886 après avoir été instituteur à Cazarilh – Louise Lassalle, née le 11/1/1852, fille de Jean-Pierre Lassalle, institutrice à Poubeau en 1886 où elle épousera Pierre-Louis Fourment l’instituteur de Portet.
Il faut bien dire que les maigres ressources de la commune ne permettaient pas d’envisager la construction d’une école, mais seulement de payer la part fixe du traitement de l’instituteur (200 fr) et son indemnité de logement (40 fr). Quant à la chambre d’école, dans la mesure où le loyer n’est mentionné dans aucune délibération du Conseil municipal, on peut penser qu’elle était louée gracieusement par le propriétaire.
On aurait certes pu imaginer un regroupement de communes pour construire une école, mais ici comme ailleurs les projets de fusion proposés par l’administration étaient refusés comme l’indique la délibération du 14 juillet 1839 : « Les membres du conseil municipal de la commune de Cathervielle assistés d’un pareil nombre des plus imposés réunis extraordinairement en vertu de la lettre de M. le Sous-Préfet du 9 juillet courant. Communiqué à l’assemblée par le sieur Périssé, percepteur à Saint Aventin, délégué dans la dite lettre pour procéder à une enquête publique de comodo et incomodo pour la réunion projetée de cette commune avec celle de Poubeau et présent le soussigné. Monsieur le Maire a communiqué à l’assemblée l’enquête qui venait d’être faite par le dit commissaire, à laquelle ont pris part douze propriétaires seulement et qui ont tous déclaré ne vouloir point acquiescer à la réunion projetée avec la commune de Poubeau. En conséquence, le dit conseil renforcé délibère à l’unanimité qu’ils sont de même avis que les signataires de l’enquête et qu’ils s’opposent aussi à aucune réunion, ni avec Poubeau, ni avec d’autres communes. »
L’obstacle du financement va disparaître avec la première des grandes lois scolaires de Jules Ferry, celle du 1er juin 1878 sur les ressources affectées à la construction des bâtiments scolaires qui prévoit un fonds de 60 millions de francs pour subventionner les communes « en vue de l’amélioration ou de la construction de leurs bâtiments scolaires et de l’acquisition des mobiliers scolaires ». Presque toutes les communes vont alors préparer un projet de construction d’école… comme le fait le Conseil municipal de Cathervielle qui se décide enfin en février 1882 à décréter l’état d’urgence après avoir trouvé un local à vendre !
Délibération du 8 février 1882 : « Il y a urgence absolue de travailler à construire une maison d’école. Le maire met sous les yeux du conseil le plan d’un local qui est à vendre et dont il conviendrait de faire immédiatement l’achat… vu surtout la bonne situation de l’immeuble qui se trouve au centre de la commune à une distance de plus de cent mètres du cimetière et portant dans son ensemble la contenance de cinq ares, tout ce qu’il faut pour construire un local scolaire selon les règles voulues par l’administration sur les bâtiments de cette nature. » Suite à cette délibération, une promesse de vente a été signée « suivant acte à la date du 10 février 1882 moyennant la somme de 1050 francs. »
Pour savoir où se trouve ce terrain et à qui il appartient, il faut lire une délibération datée du 12 mai 1883 : « Mr le Président communique au conseil l’acte de vente consenti par le sieur Mariette Jean-Marie et Jaunac Jeanne-Marie sa femme tous les deux conjointement et d’un parfait accord, d’une maison avec jardin, écurie et basse-cour, le tout situé à Cathervielle et attenant, de la contenance de cinq ares, terrain nécessaire pour la construction de la maison d’école et le prie de l’approuver. Le conseil, vu l’acte de vente consenti par le sieur Mariette Jean-Marie… du terrain et d’une bâtisse portant les numéros 123 et 124 du plan cadastral de Cathervielle, acte consenti à Mr le Maire et au nom de la commune sur l’emplacement duquel doit être construite la maison d’école publique mixte de Cathervielle, estime qu’il y a lieu de l’approuver dans tout son contenu attendu que le prix est conforme à la valeur vénale d’un terrain de la commune. »
Sur cet extrait du plan cadastral napoléonien datant de 1837, on trouve deux parcelles numérotées 123 et 124, avec deux corps de bâtiment contigus correspondant probablement à la maison et à l’écurie, et une surface totale d’environ 500 m², le tout situé à un peu plus de 100 mètres du cimetière.
Sur un état de sections de 1838, ces parcelles appartenaient alors à Pascal Barrère. Jeanne-Marie Jaunac qui s’était mariée le 24/1/1876 à Jurvielle avec Jean-Marie Mariette en avait probablement hérité à la mort de son père Jean-Paul Jaunac décédé le 22/1/1881, à moins que ce bien n’ait été transmis dans le cadre du contrat de mariage passé devant Maître Sansot, notaire à St Aventin. Jean-Marie Mariette et Jeanne-Marie Jaunac auront une fille, Paule Mariette qui épousera Jean-Bertrand Sansuc à Trébons le 18 mars 1906.
3 – A la recherche d’un financement
La question du terrain étant réglée, il fallait également résoudre celle du financement car les subventions de l’Etat et du Département n’étaient attribuées que si deux conditions étaient réunies : – une part du financement devait provenir des ressources propres de la commune – les plans et les devis devaient être établis avec précision par un architecte
Rôle de souscription volontaire – Délibération du 12 mai 1883 Pour assurer la réalisation de ce projet dans les conditions énoncées la commune ne peut voter la moindre petite somme attendu que la caisse municipale est dénuée de toute ressource… le conseil municipal approuve le principe d’une contribution volontaire de 50 francs apportée par chaque père de famille et chaque chef de ménage et dont le montant total s’élève à la somme de 1000 francs destinée à la construction de la maison d’école.
Plans et devis de l’architecte – Délibération du 12 mai 1883 Les plans et devis ont été dressés par M. Brévent, architecte de la ville de Luchon. Ils sont été sérieusement étudiés et convenablement établis soit dans l’ensemble, soit dans le détail. Conformément aux recommandations ministérielles, l’architecte s’est attaché à déterminer avec la plus grande exactitude possible le montant de la dépense prévue par le chiffre de … au détail estimatif y compris les frais d’acquisition, le renouvellement du mobilier scolaire, du mobilier personnel de l’instituteur et la création d’une bibliothèque populaire communale.
Ainsi toutes les conditions paraissent remplies et le Conseil municipal envoie donc son dossier au Préfet en soulignant que « la commune de Cathervielle est excessivement pauvre et que le sacrifice personnel que les habitants s’imposent est digne du bienveillant et charitable concours de MM. les membres du Conseil général, de celui de M. le Ministre de l’Instruction publique et du patriotique gouvernement de la République française pour fournir le restant de la dépense totale. »
Hélas, le Sous-Préfet considère que la participation de la commune n’est pas suffisante et il demande au Conseil municipal de se réunir pour trouver de nouvelles ressources. C’est ainsi que par délibération du 5 juillet 1883, le Conseil municipal décide d’un emprunt de 1200 francs qui sera remboursé en trente ans par prélèvement sur les recettes provenant du rôle de dépaissance. Tous les obstacles semblent désormais levés et la construction de l’école devrait pouvoir commencer sans délai comme c’est le cas dans plusieurs autres communes voisines (Oô, Cazarilh, Benqué, Castillon et St Paul).
4 – Changement de programme
L’une des dernières délibérations figurant dans le registre des archives communales numérisées concerne une demande formulée par M. Castex, architecte, adressée au Conseil de Préfecture. Il ressort de cette délibération datée du 30 mai 1884 que M. Castex réclame à la commune des « honoraires pour avoir réalisé un plan pour l’exécution d’une maison d’école sur une maison appartenant à un propriétaire qui plus tard a refusé la vente. »
Voici la réponse du Conseil municipal : « Considérant que la commune est encore aujourd’hui sans local scolaire, que la santé des enfants et de l’instituteur est compromise car la maison d’école ressemble [plus] à une triste écurie qu’à une maison d’école. C’est bien triste et douloureux, la commune aurait fait tous les efforts possibles pour avoir une maison d’école… Le conseil municipal … a délibéré et délibère qu’il ne croit rien devoir à M. Castex comme ne l’ayant invité à dresser un plan ou l’aurait dressé par suite de la promesse de vente que le propriétaire de la maison lui aurait manifesté, ce qu’il n’a jamais exécuté par délibération du conseil municipal. »
Trois énigmes apparaissent dans cette délibération : 1 – D’une part l’architecte indiqué ici, M. Castex, n’est pas celui qui est mentionné dans la délibération précédente, M. Brévent, ce qui confirmerait que M. Castex avait bien réalisé ces plans de sa propre initiative et sur la foi d’une promesse de vente que le propriétaire lui aurait manifesté. Mais alors pourquoi l’aurait-il fait et pourquoi saisit-il le Conseil de Préfecture ? 2 – Qui est ce M. Castex, architecte ? S’agit-il de Raymond Castex, architecte du Casino de Luchon construit en 1878-1880 ? Il est curieux de constater que sur le site des archives 31 le dessin de la façade du Casino en 1875 est attribué à B. Castex, de même que les plans de l’école de Gouaux de Larboust datés de 1882. Enfin, c’est bien Bernard Castex qui est l’architecte de la villa Luisa en 1884… Y aurait-il deux architectes de la ville de Luchon à cette époque Raymond Castex et Bernard Castex ? 3 – Cette maison dont la vente ne s’est pas réalisée était-elle la même que celle appartenant au couple Mariette pour laquelle l’architecte Brévent avait fait des plans ?
Les délibérations du conseil municipal de Cathervielle figurant dans les archives numérisées s’arrêtant en 1884, il ne semble pas possible de connaître la suite de l’histoire : l’Ecole sera-t-elle finalement construite et sur quel terrain ???
En furetant sur le site des archives on trouve un premier indice datant de 1908 : ce plan figure dans un document daté du 30 octobre 1908 réalisé par l’architecte Laubersac pour la réfection des deux murs de soutènement du cimetière, d’une part au-dessus celui qui borde le « chemin vicinal », et d’autre part au-dessous celui qui borde le « chemin dit de Seigné et de l’Ecole ».
On en conclut qu’en 1908, il y avait probablement une école dans ce secteur, à proximité du cimetière, ce qui ne correspondait pourtant pas aux critères retenus en 1883… On en trouve confirmation dans un autre document daté du 11 janvier 1909 établi par le même architecte sur le plan général du projet d’adduction d’eau potable de la commune de Cathervielle. L’Ecole a donc été construite à côté de l’Eglise comme on peut le voir sur la carte postale Labouche prise vers 1910 : à quelle date et par quel architecte ?
Le plan d’adduction d’eau de 1909
Carte postale Labouche vers 1910
5 – Énigmes à résoudre
On peut donc dire avec certitude que la maison d’Ecole de Cathervielle a bien existé au début du XXème siècle constituant assurément l’un des plus beaux édifices du village, particulièrement visible de loin au premier plan comme sur la photo ci-dessous.
Mais combien de temps a-t-elle fonctionné ? Sur le plan cadastral de 1933 ci-contre, le bâtiment apparaît bien mais il n’est pas mentionné en tant qu’école… Il faut dire que la commune qui avait atteint 177 habitants au recensement de 1841 n’en comptait plus que 64 en 1936… et seulement 34 en 1968 !
Appel à contribution
Ce travail de recherche a été conduit exclusivement à partir des archives numérisées de la Haute Garonne : monographie communale de 1886, délibérations du conseil municipal de 1838-1884, archives communales figurées, état de sections 1838, recensements, état civil, etc… De nombreuses questions pourraient sans doute trouver des réponses auprès de la mairie de Cathervielle, d’habitants conservant la mémoire du village ou de personnes disposant de documents sur cette époque… Où se trouvait la « chambre d’école« , à quelle date la « maison d’école » a-t-elle été construite, par quel architecte, jusqu’à quand a-t-elle fonctionné, existe-t-il des témoins qui l’auraient fréquentée, existe-t-il des archives à la mairie ou des documents appartenant à des particuliers, etc… ??? Si vous souhaitez partager les informations et les documents que vous avez, ou si vous connaissez des sources susceptibles d’apporter des réponses à ces questions…
Au confluent des vallées d’Oueil et de Larboust, la lutte d’une petite communauté villageoise pour faire vivre son Ecole…
Comment imaginer les combats qui ont dû être livrés au 19ème siècle par les habitants d’un minuscule village pyrénéen pour l’instruction de leurs enfants ? Il fallait disposer d’un local et d’un logement, rechercher un instituteur, financer son traitement, obtenir des subventions, fixer la participation des parents, désigner les élèves indigents, veiller à la scolarisation des filles, lutter contre une épidémie de rougeole, se protéger des rigueurs du climat, affronter la complexité des relations avec une commune voisine mais aussi faire face en même temps à bien d’autres priorités… Des épreuves qui n’altéraient en rien le « caractère gai et ouvert de ces villageois un peu nomades » !
Réalisée en grande partie en consultant les archives numérisées du département de la Haute-Garonne, cette étude redonne vie à un passé oublié, non par nostalgie mais pour montrer combien cette période fondatrice de l’Ecole de la République était déjà au cœur de la plupart de nos préoccupations actuelles. Elle confirme le rôle essentiel qu’ont eu à cette époque les instituteurs qui étaient tous des enfants du pays. Au-delà de la simple curiosité historique, puisse cette contribution à la mémoire collective aider à mieux comprendre et à mieux agir sur le présent…
Parmi les 20 communes des vallées d’Oueil et de Larboust, la plus petite, celle qui est située au confluent des deux vallées, Trébons de Luchon, est la seule à n’avoir jamais construit de maison d’école. A l’exception de St Aventin qui avait construit une première maison d’école dès 1835, il faudra attendre le début des années 1880 pour voir s’élever des écoles dans toutes les autres communes, mais dans chacune il y avait déjà depuis le début du 19ème siècle une école qui fonctionnait dans une « chambre d’école » louée à un particulier… A Trébons, comme dans tous les petits villages, la Révolution avait fait naître l’idée d’une éducation nationale, ouverte à tous et prendre conscience de la portée sociale de l’instruction primaire, premier degré de cette éducation, comme l’exprimait en 1886 l’instituteur de Jurvielle. Alors qu’à Trébons la mémoire collective a perdu la trace de cette école, voici ce qu’en disait Mme Anne-Marie Laurens, institutrice à Trébons, dans sa monographie du village rédigée en 1886 à la demande du Conseil départemental de l’instruction publique :
« Il n’y a pas de maison commune ni de maison d’école. Cependant l’enseignement n’a point été négligé ; les habitants ont su s’imposer à toutes les époques des sacrifices pour l’instruction de leurs enfants. Depuis 1810 jusqu’à 1855 on y a vu une série d’Instituteurs libres. En 1867 fut érigée l’école mixte actuelle dirigée par une Institutrice publique au traitement de 900 fr dont il ne nous appartient pas de faire l’éloge ; elle voit accourir à son école des élèves des communes voisines ».
1 – Le temps des instituteurs libres
Au moment où Anne-Marie Laurens rédige sa monographie en 1886, elle habite Trébons depuis près de 20 ans. Née dans le village voisin de Saccourvielle où son père Jean-Antoine Vidailhet a été instituteur de 1827 à 1857, elle s’est mariée en 1867 avec Alexis Laurens, né à Trébons, et qui était alors instituteur à Cazarilh-Laspènes. Elle connaît donc parfaitement l’histoire récente de l’enseignement primaire à Trébons et il est bien dommage qu’elle la résume par cette simple phrase : « Depuis 1810 jusqu’à 1855 on y a vu une série d’Instituteurs libres ».
Après les espoirs qu’avait fait naître la Révolution d’une instruction gratuite et obligatoire pour tous, la liberté d’enseignement avait été l’une des rares mesures actées par la Convention. C’est dans ce cadre que l’initiative individuelle et la demande des populations ont conduit à partir des années 1810, presque dans chaque village des deux vallées, à l’installation d’instituteurs libres dont l’action était placée par une ordonnance royale du 28 février 1816 sous le double contrôle du curé et du maire qui devaient surveiller et encourager l’instruction primaire, mais également veiller à ce qu’elle soit donnée gratuitement aux enfants indigents. Il suffisait de louer une pièce chez un particulier pour ouvrir une classe à des élèves qui devaient apporter chaque fin de semaine un paiement en nature appelé la « norme » dont la valeur devait être au minimum celle d’un œuf. La condition de ces enseignants était tout à fait précaire au point qu’ils devaient le plus souvent exercer en même temps un autre métier pour survivre, tel que barbier ou carillonneur. De plus, leurs compétences étaient sans doute très limitées, malgré les dispositions de l’ordonnance royale de 1816 prévoyant l’exigence d’un certificat de moralité et d’un brevet de capacité.
A défaut d’archives communales parfois détruites dans les incendies des villages, les éléments rapportés dans les monographies concernant cette période proviennent exclusivement de « témoignages oraux de vieillards dignes de foi ». Il est donc très difficile de retrouver la trace de ces instituteurs libres… et pourtant en parcourant les archives d’état civil de la commune de Trébons, on découvre une promesse de mariage enregistrée par le maire Noël Trespaillé le 2 novembre1823 entre Fabien Jouaneton, 22 ans, instituteur demeurant à Trébons et Françoise Maleplate, 22 ans, couturière demeurant à Bagnères de Luchon. Le mariage sera célébré à Bagnères de Luchon le 25 novembre 1823.
Fabien Jouaneton est né à Trébons le 26 pluviôse an IX (15 février 1801). Il est le fils de Michelle Grougnet et de Jean Jouaneton, cultivateur demeurant à Trébons. Sa sœur Reynette Jouaneton s’est mariée avec Pierre Laurens de Trébons : ce sont les grands parents paternels d’Alexis Laurens qui sera instituteur à Cazarilh puis à St Aventin et Maire de Trébons de 1900 à 1908.
Fabien Jouaneton serait ainsi en 1823 le premier instituteur libre connu de Trébons.
Cette même année 1823, dans la commune voisine de Benqué, un autre instituteur libre commence également sa carrière, Jean-Pierre Antony, 32 ans qui était auparavant cultivateur et qui sera plus tard instituteur à Cazarilh-Laspènes dans les années 1850. Son fils Léon-Pierre Antony né à Benqué le 11 mars 1827 sera proposé pour occuper le poste d’instituteur de Trébons en octobre 1851.
2 – Les premiers instituteurs communaux 1840-1850
C’est la loi Guizot du 28 juin 1833 qui a établi pour la première fois l’obligation pour les communes d’entretenir une école primaire élémentaire (de garçons) et de fournir à l’instituteur un local convenablement disposé tant pour lui servir d’habitation que pour recevoir les élèves ainsi qu’un traitement fixe d’au moins deux cents francs. Ce traitement était complété par le produit d’une rétribution mensuelle due par chaque élève, sauf les indigents dont la liste était établie par le conseil municipal.
Bien que la loi Guizot ait fixé à 500 habitants le seuil d’obligation, de nombreuses petites communes vont s’engager dans l’entretien d’une école primaire communale et les premières délibérations connues du Conseil municipal de Trébons, datant du 6 mai 1841, sont justement consacrées aux dépenses concernant l’instruction primaire en application de la loi Guizot. La commune qui est à l’apogée de son peuplement ne compte pourtant que 79 habitants.
Une première délibération relative au budget 1842 porte sur la nécessité de voter « une imposition de trois centimes additionnels portant sur les contributions foncière, personnelle et mobilière, les portes et fenêtres et les patentes » car « les ressources ordinaires de la commune sont insuffisantes pour faire face aux dépenses concernant l’instruction primaire que les règlements ont rendues obligatoires ». Une deuxième délibération décide « qu’une somme de deux cents francs sera allouée à titre de traitement fixe de l’instituteur primaire communal, ainsi qu’une somme de quarante francs pour acquitter le prix du loyer de la Maison d’Ecole et pour l’indemnité de logement de l’instituteur ». La rétribution mensuelle des élèves est ainsi fixée : – 1ère classe, lecture, écriture et calcul : 75 c – 2ème classe, lecture et écriture : 50 c – 3ème classe, lecture : 40 c
Il y avait donc bien à cette époque un instituteur primaire communal dont la première installation se situe vraisemblablement entre 1835 et 1840. Une délibération du 2 février 1843 nous apprend que l’instituteur public de Trébons se nomme Guillaume Ader et qu’il doit être rétribué au prorata du temps qu’il a exercé, soit pour l’année 1842 du 11 avril, jour de son entrée en fonction, jusqu’au 31 décembre. Guillaume Ader est né le 18 septembre 1815 à Cazaux de Larboust. Sur un acte de mariage de Cazaux daté du 28 octobre 1844 il est mentionné comme « instituteur demeurant à Trébons ». On peut donc en conclure qu’il est resté à Trébons au moins jusqu’en 1845.
3 – Les avatars de la scolarisation des filles
Une délibération du 10 août 1842 se prononce conformément à la loi sur la « désignation des élèves à recevoir gratuitement dans les écoles primaires. » « Le conseil municipal après avoir examiné la position de fortune et les droits de chacune des familles dont les enfants fréquentent l’école, a reconnu que les dénommés ci-après doivent être admis gratuitement à profiter de l’instruction : Jean-Michel Laurens, Jean Oustalet, Jean-Clair Gays ».
Il est également précisé que onze enfants sont scolarisés et qu’il n’existe pas dans la commune de refus de fréquenter l’école. Huit familles sont en état de payer la rétribution mensuelle (dont le produit présumé est de 60 francs) et trois familles sont indigentes.
Il n’y aurait donc à Trébons en 1842 que 11 enfants d’âge scolaire ? Un regard sur les registres d’état civil montre que 25 enfants sont nés à Trébons entre 1827 et 1836, dont deux sont décédés en bas âge (2 mois et 2 ans) et une à l’âge de 10 ans : il y avait en principe 22 enfants âgés de 6 à 15 ans… dont 12 garçons et 10 filles. Il paraît évident que les filles n’étaient pas scolarisées comme le confirme d’ailleurs la liste des indigents qui ne comporte que des garçons. Ainsi Jean-Clair Gays né le 27/9/1827 allait encore à l’école à l’âge de 15 ans, mais ses sœurs âgées de 7 ans, 9 ans et 11 ans restaient à la maison, occupées aux travaux ménagers et agricoles. La liste des indigents de 1846 ne comprendra elle aussi que des garçons : bizarrement, on y trouve toujours Jean-Clair Gays alors âgé de 19 ans ainsi que Dominique Laurens, âgé de 13 ans, frère de Jean-Michel, et qui ne figurait pas sur la liste de 1842 alors qu’il avait déjà 9 ans.
Si la loi Guizot avait impulsé une forte dynamique pour faire fonctionner des écoles primaires de garçons jusque dans les plus petits villages, elle était restée totalement silencieuse sur la question des filles et n’avait nullement remis en cause l’ordonnance royale de 1816 qui précisait que « les garçons et les filles ne pourront jamais être réunis pour recevoir l’enseignement ». Certes, il existait peut-être à cette époque une école libre de filles à St Aventin, mais il est peu probable que les petites de Trébons l’aient fréquentée. Il leur faudra donc attendre la Loi Falloux du 15 mars 1850 qui permettra, « à raison des circonstances, d’établir des écoles primaires dans lesquels seront admis des enfants de l’un et l’autre sexe ».
C’est ainsi qu’en décembre 1850, le conseil municipal délibère sur une proposition établie conformément à la loi « de concert avec M. le Curé » sur la liste des enfants qui doivent être admis gratuitement à l’école communale. Après avoir examiné la position respective des familles qui avaient le plus de titres à cette gratuité, leur choix s’est porté sur les élèves dont les noms suivent : 1° Laurens (Michel), 2° Laurens (Jean-Marie) fils de Simon Laurens, veuf, 3° Jouaneton (Jeanne), 4° Laurens (Pierrette). Pour la première fois à Trébons, les filles font ainsi leur entrée à l’école. On ne sait pas si cette mesure est considérée à Trébons comme un progrès, mais l’événement est souligné par le Maire qui fait observer que « la réunion des enfants des deux sexes, à défaut d’une école publique ou libre de filles dans cette commune, est autorisée par la loi ».
Cette situation hélas ne durera pas plus d’un an car l’instituteur communal va démissionner en septembre 1851 et son successeur désigné, le jeune Léon-Pierre Antony, ne viendra pas le remplacer. Faute de pouvoir être nommé instituteur communal, Jean-Guillaume Verdalles, qui fut instituteur à Gouaux son village natal (de 1843 à 1846) puis à Artigues (de 1846 à 1850), ouvre alors à Trébons une école primaire libre de garçons dans la maison de M. Sacome. Cette école fonctionnera pendant au moins trois ans, de 1852 à 1854.
L’école fonctionnait donc dans la maison de Michel Sacome qui a été deux fois maire de Trébons (en 1832-1835 et 1866-1871). Un examen de la descendance de Michel Sacome montre que cette maison était en 1911 celle de François Mounic, Maire de Trébons, qui sera tué à la guerre de 1914. Visible sur certains documents photographiques du début du 20ème siècle, elle était située sur l’actuel parking. Elle sera détruite dans les années 1950 pour élargir la route conduisant à Cazarilh. On peut penser que c’est dans une chambre de cette maison que s’est tenue l’école pendant toute la période 1810-1855 avant de s’établir à partir de 1867 dans la maison Laurens située immédiatement en contrebas de l’autre côté de la route. Un habitant de Trébons se souvient que Jean Mounic, l’un des deux fils de François Mounic, parlait en 1977 de l’école en disant que « l’instituteur avait des vaches au rez de chaussée, que l’école se faisait à l’étage… et que la punition classique (et régulière) était de faire sortir le fumier aux élèves indisciplinés ou paresseux ». Il évoquait très probablement les souvenirs de sa grand-mère maternelle, Marie Sacome née en 1845 qui avait donc connu l’école de Trébons fonctionnant dans la maison de son père de 1852 à 1854. Elle ne pouvait cependant pas la fréquenter car c’était une école libre de garçons !
Malgré une nouvelle tentative de réouverture d’école communale en 1861 où le conseil municipal propose le jeune Alexis Laurens de Trébons qui vient de sortir de l’Ecole Normale, le siège de l’école publique restera établi à Cazarilh-Laspènes où Alexis Laurens sera nommé instituteur. Ce n’est qu’à la rentrée 1867 que les filles pourront à nouveau être scolarisées à l’école communale mixte de Trébons.
Cette fois, l’école mixte de Trébons va fonctionner sans interruption pendant 29 ans, dans la maison de l’institutrice Anne-Marie Laurens qui prendra sa retraite le 1er octobre 1897.
4 – La difficulté à obtenir la nomination d’un instituteur communal
Première tentative en 1849 : échec
Dans une délibération en date du 8 novembre 1849, le conseil municipal déplore que « la commune se trouve dépourvue d’un instituteur communal depuis trois ans environ ». Sans doute pour essayer de convaincre l’administration, le Maire exprime avec une certaine emphase cette situation en disant qu’il « voit avec regret les Enfants privés de l’instruction primaire, le seul moyen de les rendre honnêtes dociles et obéissants car c’est le moyen de l’éducation que l’homme devient civilisé, bon citoyen et apte pour tous les emplois civils ou militaires, au lieu qu’il voit aujourd’hui avec peine les Enfants de Trébons croupir dans une grande ignorance, pour surcroît de malheur livrés à eux-mêmes et vagabonds travers les lieux publiques…D’ailleurs abandonnés à leur volonté ils seront sans principe de Religion et de moralité, il convient donc de remédier à un semblable désordre et de tâcher de pourvoir le plus tôt possible la Commune d’un Instituteur Communal ».
Comme il n’ignore pas que la proximité immédiate de deux autres écoles communales lui sera probablement opposée, il rappelle les raisons qui ne permettent pas de s’y rendre : « les Enfants ne peuvent être envoyés dans une Ecole des Communes voisines à cause du grand poids de la neige qu’il tombe chaque hiver dans ce pays, il arriverait très souvent que les petits Enfants en se rendant dans les Ecoles Communales de St Aventin ou Cazarilh seraient en chemin entraînés par les avalanches qui descendent du haut de nos montagnes, le seul empêchement de les y envoyer pour ne pas les voir Mourir ».
Conformément à la procédure prévue par la loi du 28 juin 1833, le conseil municipal propose une candidature au Comité Supérieur de l’Instruction primaire de St Gaudens, celle du sieur Jean-Guillaume Verdalles. Le maire précise que ce dernier réunit toutes les qualités nécessaires à un Instituteur primaire. Il certifie que la capacité et la moralité de Verdalles lui sont personnellement connues. Toutes les conditions réglementaires sont rassemblées : – Brevet de capacité du deuxième degré – Avis du Comité local de Trébons – Certificat de moralité délivré par le Maire de la commune de Gouaux sur l’attestation de trois membres du Conseil municipal.
La nomination de Jean-Guillaume Verdalles semblait acquise… mais il était alors instituteur à Artigues et il est probable cette mutation en cours d’année n’a tout simplement pas été acceptée par le Comité Supérieur.
Deuxième tentative en 1850 : réussite
Conformément aux dispositions de la loi Falloux, par lettre en date du 31 juillet 1850, « le Sous-Préfet appelle le conseil municipal à se prononcer sur le choix d’un instituteur pris soit parmi les instituteurs laïques, soit parmi les instituteurs membres d’associations religieuses vouées à l’enseignement & reconnus par l’Etat ». Cette lettre signifie que l’administration est donc disposée à nommer un instituteur à Trébons.
Le conseil municipal, après avoir souligné que la commune est sans instituteur depuis longtemps, se prononce pour un instituteur laïque « attendu que les effets de l’instruction primaire dirigée par un instituteur laïque ont été jusqu’à présent satisfaisants et qu’il y a par conséquent lieu d’y persister ». Et il propose le nom d’un instituteur breveté apte à remplir ces fonctions… mais le texte a été surchargé ce qui ne permet pas de savoir de qui il s’agit ! Dommage car il est certain que cet instituteur restera en poste à Trébons pendant l’année scolaire 1850-1851 comme en attestent deux délibérations, l’une de décembre 1850 qui fixe la liste des enfants indigents (comprenant pour la première fois des filles), l’autre de février 1851 relative aux dépenses de l’enseignement primaire. La rétribution scolaire est ainsi fixée au taux unique de un franc par mois et le traitement fixe annuel de l’instituteur à 200 francs. Mais la loi du 15 mars 1850 a prévu d’allouer aux instituteurs un supplément de traitement afin d’élever leur revenu au minimum de 600 francs.
Avec le loyer de l’école, la commune devrait payer 644 francs. Or ses ressources pour l’enseignement se montent seulement à 66,48 francs comprenant le produit de la rétribution scolaire (57 francs) et le produit des trois centimes additionnels (9,48 francs). Comme le constate la délibération, « le Département et l’Etat auront donc à fournir pour compléter les dépenses ordinaires et obligatoires de l’enseignement primaire une subvention de 577,52 francs ». C’est certes la commune qui prend en charge les dépenses mais elle reçoit à cet effet une subvention après déduction de la part qui lui incombe sur ses ressources propres.
On notera que ce même mois d’août 1850, la commune de Cazarilh était elle aussi depuis longtemps sans instituteur mais qu’en réponse à la lettre du Sous-Préfet, elle s’était prononcée pour que la direction de son Ecole soit assurée par un membre d’association religieuse qui lui paraissait « offrir plus d’avantages à la jeunesse en ce qu’elle se trouverait placée dans de meilleures conditions d’instruction, de morale et de discipline ». Difficile, dans cette décision, de ne pas voir l’influence de proximité du curé qui habitait le presbytère de Cazarilh d’autant plus qu’il est fait référence à la loi du 11 janvier 1850 (dite petite loi Falloux) destinée à renforcer la surveillance des instituteurs « rouges » par les Préfets.
Troisième tentative en 1851 : échec
Le recteur ayant donné connaissance de la démission de l’instituteur au 1er octobre a « conseillé de s’adresser au jeune Antony élève-maître sortant de l’Ecole Normale et admis sur la liste d’admissibilité. » Celui-ci ayant accepté de venir occuper le poste « dans l’espérance d’y rétablir sa santé », le conseil municipal de Trébons dans une délibération du 10 octobre 1851 nomme alors le dit Antony pour instituteur primaire communal et prie le Recteur de l’autoriser à ouvrir l’école en attendant que sa nomination soit régularisée. Il s’agit probablement de Léon-Pierre Antony né à Benqué le 11 mars 1827 et dont le père Jean-Pierre Antony a été Instituteur libre puis instituteur communal à Benqué avant d’être muté à Cazarilh… Hélas, il ne sera pas instituteur à Trébons, car une délibération du 27 mars 1852 nous apprend que « la commune se trouve dépourvue d’un instituteur communal depuis le mois de septembre 1851 et que depuis cette époque on voit avec regret les enfants privés de l’instruction primaire communale ».
Quatrième tentative en 1852 : échec
Dans cette même délibération du 27 mars 1852, le conseil municipal « nomme pour instituteur primaire communal le sieur Oustalet François, élève de l’Ecole Normale et admis sur la liste d’admissibilité qui a accepté de venir occuper ce poste dans l’espérance de s’y établir comme instituteur communal ». Il prie le Recteur de l’autoriser à ouvrir l’école en attendant que sa nomination soit régularisée. On peut penser qu’il s’agit de François Oustalet né le 20 juillet 1828 à St Aventin et qui sera employé des contributions indirectes à Bordeaux lors de son mariage le 9 octobre 1860 à Bagnères de Luchon avec Jeanne Marie Bertrande Géraud. On doit naturellement s’interroger sur les raisons qui auraient pu justifier une telle affectation en plein milieu d’année scolaire… Il apparaît que François Oustalet n’est pas venu lui non plus à Trébons où Jean-Guillaume Verdalles va ouvrir alors une école primaire libre de garçons qui fonctionnera au moins de 1852 à 1854.
Cinquième tentative en 1861 : échec
Une opportunité extraordinaire apparaît en 1861 pour obtenir enfin la réouverture de l’école primaire publique de Trébons : un enfant du village, Alexis Laurens, vient de sortir de l’Ecole Normale primaire de Toulouse. Le conseil municipal, dans une longue délibération datée du 26 août 1861, va donc développer des trésors d’imagination pour essayer de convaincre l’administration de le nommer à Trébons.
Le préjudice de l’absence d’école « La commune se trouve dépourvue d’un instituteur public depuis dix ans et c’est avec regret qu’il voit toujours depuis cette époque un désordre complet parmi les enfants qui pourraient fréquenter l’école. Il est donc déplorable pour un père de famille de 5 ou 6 enfants d’être obligé de laisser ses enfants dans l’ignorance. Car on ne devrait pas faire partie de l’Empire français, pays où l’on n’oublie rien pour élever les populations à un haut degré d’instruction ».
Le nombre important d’élèves d’âge scolaire « Quoique le chiffre de la population soit minime, cependant en 1851 la commune de Trébons était la 11e pour la rétribution scolaire sur 23 communes du canton qui avaient un instituteur public. Il y aurait un assez grand nombre d’enfants qui fréquenteraient l’école puisqu’il y en aurait à la moyenne de 20 à 25 pendant toute l’année : nombre assez satisfaisant pour un instituteur ».
Le danger pour se rendre dans la commune de Cazarilh « Plusieurs pères de famille avaient pris la résolution d’envoyer leurs enfants dans la commune de Cazaril qui se trouve la plus rapprochée, au moins pour donner à leurs fils certaines connaissances, mais le pays de montagne que nous habitons, les mauvais chemins et les neiges qui y tombent pendant la plus grande partie de l’année encombrent les chemins difficiles à parcourir, même pendant les mois d’été, a toujours été des obstacles qui se sont opposés à l’accomplissement de leurs desseins ». Pour illustrer ces difficultés de communication, le conseil souligne que « bien souvent Monsieur le desservant des deux communes est obligé de céder aux obstacles qui se présentent malgré sa bonne volonté » : si même le curé, malgré la protection divine dont il bénéficie, ne peut venir dire la messe à Trébons qui est une annexe de Cazarilh, c’est dire combien la situation est périlleuse ! Pire, un drame qui s’est produit durant l’hiver 1854, a laissé des traces indélébiles… au moins dans la mémoire des habitants de Trébons : « Dans le courant du mois de février 1854, un nombre d’enfants de 9 à 13 ans fréquentaient l’école de Cazaril, à leur rentrée vers quatre heures du soir, un tourbillon avait entraîné le nommé Caussette Pierre âgé de 12 ans dans une haie qui sans le secours du sieur Trespaillé Guillaume âgé de 18 ans était enseveli dans ces tourbillons affreux. Que serait devenu le père Caussette en apprenant que son fils, son unique espérance, n’était plus ? Chose déplorable d’être obligé d’abandonner à travers les périls ce qu’on a de plus cher au monde. Tous ces obstacles ont découragé les pères de famille d’envoyer leurs enfants à l’école de Cazarilh car à la vérité il ne faut jamais s’exposer à détruire ce que la Divine providence a bien voulu nous donner. » Ce récit est évidemment destiné à émouvoir l’administration, mais il est sans doute un peu excessif, et il n’est pas certain qu’il corresponde à la réalité car une école libre de garçons fonctionnait à Trébons pendant les années 1852 à 1854 comme l’indique une délibération du 6 novembre 1854 demandant « que les centimes spéciaux consacrés à l’instruction soient versés à l’instituteur libre Jean-Guillaume Verdalles considérant les services qu’il rend à la commune en se chargeant des enfants indigents pour les retirer des rues… ».
L’état de santé d’Alexis Laurens « Ce jeune homme se trouve épuisé de ses trois années d’étude à l’Ecole normale. Il aurait besoin pour rétablir sa santé d’être nommé instituteur public dans son pays natal, ce que le dit Laurens accepte volontiers ».
Le conseil conclut son plaidoyer en disant que « c’est de toute nécessité d’avoir un instituteur dans la commune afin d’obtenir le bon ordre parmi les enfants d’aujourd’hui : connaissant la bonne conduite du jeune Laurens Alexis, ils obtiendraient le meilleur des résultats ».
Sixième tentative en 1862 : échec
Malgré ses arguments, la commune de Trébons n’a pas pu obtenir en 1861 la réouverture de l’école dont le siège est resté à Cazarilh, avec peut-être d’ailleurs Alexis Laurens pour instituteur… Loin de se décourager, elle continue à se battre, au nom de ce qu’elle ressent comme une injustice car il y a alors plus d’enfants de la commune de Trébons que de celle de Cazarilh qui fréquentent l’école. Dans une délibération du 12 août 1862, le Maire expose que « la commune de Cazarilh-Laspènes ne réunit pas non plus les conditions voulues pour avoir à elle seule un instituteur public. Il est donc important dans l’intérêt du Gouvernement d’examiner de bien près dans laquelle des deux communes de Trébons et de Cazarilh-Laspènes le siège est le plus préférable ».
Il présente ensuite les raisons qui devraient conduire à choisir Trébons : « Les avantages qu’offre la commune de Trébons pour le siège de l’instituteur sont incontestables car cette commune se trouve au centre des deux vallées du Larboust et d’Oueil, parce qu’elle peut être fréquentée par les communes de St Aventin, Saccourvielle, Benqué et Cazarilh-Laspènes. De plus la commune de Trébons malgré le petit nombre d’habitations qu’elle compte, elle a un assez grand nombre d’enfants en âge de fréquenter l’école primaire. La commune de Cazarilh-Laspènes, quoiqu’elle compte un plus grand nombre d’habitants, peu d’enfants peuvent fréquenter l’école primaire et la position de cette commune ne permet pas que l’école puisse être fréquentée par d’autres communes que par celle de Trébons ».
Cette analyse paraît tellement évidente que « le conseil, d’un accord unanime, applaudit aux paroles de M. le Maire qui sont à leurs yeux de la plus grande justesse. Aussi espère-t-il que les autorités compétentes rendront justice à la commune de Trébons en y installant le siège de l’instituteur ». Mais cet enthousiasme sera de courte durée car le Préfet maintiendra le siège de l’instituteur public à Cazarilh.
Septième tentative en 1866 : réussite
Le rattachement de Trébons à l’école de Cazarilh est toujours vécu comme une grande souffrance et une délibération en date du 8 février 1866 essaie d’apporter de nouveaux éléments pour justifier une demande qui s’inscrit dans « la bienveillante sollicitude de Son Excellence le Ministre (Victor Duruy) qui s’est si ouvertement prononcé en faveur de l’instruction élémentaire dans les campagnes ». La distance pour se rendre à Cazarilh serait de trois kilomètres (en réalité 1,5 km) par un chemin difficile, surtout l’hiver qui est la seule période où les enfants vont à l’école : « il suit de là que les enfants jusqu’à l’âge de 10 à 13 ans restent dans un état complet d’ignorance, ne pouvant les abandonner seuls à un parcours aussi considérable, notamment pendant l’hiver, seule saison pour ainsi dire où les enfants des campagnes peuvent se rendre régulièrement à l’école, les travaux agricoles, dans la belle saison, obligent en général les familles à se servir de leurs enfants ». La situation des filles (à laquelle le Ministre Victor Duruy est particulièrement sensible) devrait également être prise en considération : « les jeunes filles pour les mêmes motifs, plus difficile encore de les abandonner à une école étrangère, ne reçoivent aucune instruction ». C’est pourquoi le conseil demande au Préfet la nomination d’une institutrice mixte.
Cette demande va enfin recevoir une réponse favorable dans une lettre du Sous-Préfet en juin 1866 mais assortie de conditions : « la commune de Trébons est autorisée pour la nomination d’une Institutrice mixte aussitôt après qu’elle aura à sa disposition un local convenable pour l’institutrice et salle d’école ainsi que le mobilier nécessaire pour les élèves ». Quelques mois seront apparemment nécessaires pour « remplir ces formalités » et l’école n’ouvrira qu’à la rentrée 1867.
5 – L’école communale de Trébons 1867-1897
Le mariage d’Alexis Laurens et Anne-Marie Vidailhet
Les bonnes fées n’avaient pas réussi à faire ouvrir l’école de Trébons en 1861 avec Alexis Laurens malgré des conditions très favorables. Cette fois, elles vont se montrer à la hauteur de l’enjeu en cochant toutes les cases exigées pour cette réouverture : le mariage d’Alexis Laurens avec Anne-Marie Vidailhet permet en effet à Trébons de disposer d’une institutrice pouvant accueillir filles et garçons, et d’un local scolaire dans la maison du couple. Cet événement majeur, qui allait déterminer pendant près de trente ans la vie du village, ne pouvait pas être célébré ailleurs qu’à Trébons, même s’il n’existait pas à cette époque de maison commune qui ne sera construite que cent ans plus tard en 1971. Or la mariée qui était née à Saccourvielle demeurait alors à Bourg d’Oueil où elle était institutrice, et le futur, né à Trébons, était domicilié à Cazarilh-Laspènes où il était instituteur. La cérémonie aurait donc dû avoir lieu dans l’une de ces deux communes.
Le Maire de Trébons, Michel Sacome, écrit alors au Procureur Impérial le 31 mars 1867 pour obtenir une dérogation : « Le Maire de la commune de Trébons, canton de Bagnères-de-Luchon, (Haute-Garonne) a l’honneur de vous exposer que le sieur Laurens Alexis Instituteur public à Cazarilh-Laspènes et à Trébons résidant continuellement dans cette dernière commune hormis le temps de classe à Cazarilh le siège de l’école étant dans cette commune, on lui a imposé une cote personnelle et non mobilière, ayant sa maison paternelle au dit Trébons, lieu de sa naissance, où il réside continuellement avec ses parents. Le Sieur Laurens étant dans l’intention de se marier, y aurait-il convénient, Monsieur le Procureur Impérial, à ce que les publications et le mariage fussent célébrés à Trébons : la fiancée du dit Laurens ayant la résidence éloignée de ses parents, il y a inconvénient pour les parties à célébrer le dit mariage soit à Cazarilh soit à la résidence de la future, devant rester à Trébons, et d’ailleurs les communes Cazarilh et Trébons étant desservies par le même curé. J’espère, Monsieur le Procureur Impérial, qu’il n’y aura pas d’inconvénient à ce que le dit mariage soit célébré par moi et vous supplie de vouloir bien, le plus tôt possible, donner votre adhésion. Je suis avec le plus profond respect, Monsieur le Procureur Impérial, Votre très dévoué serviteur ». La dérogation sera accordée et la cérémonie aura lieu à Trébons le 28 avril 1867. L’acte de mariage précise qu’Alexis Laurens, né le 17 janvier 1840 à Trébons, est le fils de Joseph Laurens, 54 ans, brigadier cantonnier demeurant à Trébons et de Jeanne Soulérat, décédée. Anne-Marie Vidailhet, née le 24 avril 1835 à Saccourvielle, est la fille de Jean-Antoine Vidailhet, instituteur public demeurant à Saccourvielle-Benqué, décédé, et de Marie Vidailhet, 53 ans, ménagère demeurant à Saccourvielle-Benqué. Comme c’était fréquemment le cas, un contrat de mariage a été passé devant Me Guillaume Pierre Jacques Sansot, notaire à St Aventin.
Les dépenses de l’enseignement primaire en 1867
La question du local étant réglée, le Maire fait savoir lors de la séance du conseil municipal du 24 février 1867 « l’urgence qu’il y a de délibérer sur le traitement de l’institutrice dans la présente session afin de hâter autant que possible la nomination de la dite Institutrice ». « Le Conseil municipal, après en avoir mûrement délibéré, a pris successivement les décisions suivantes : – Il a fixé le taux de la rétribution scolaire pour l’année 1867, par mois, 1ère catégorie 2 fr, 2ème catégorie 2 fr 50, abonnements annuels, 1ère catégorie 10 fr, 2ème catégorie 12 fr – Il a arrêté le traitement fixe de l’institutrice à la somme de 500 fr ». Compte tenu du produit de la rétribution scolaire estimé à 150 fr il restait à trouver 350 fr auxquels il fallait ajouter 40 fr pour le logement de l’institutrice et la salle d’école. Cette somme sera financée sur les trois centimes additionnels et les ressources ordinaires de la commune, donc sans solliciter de subvention.
En 1871, le traitement de l’institutrice sera porté à 600 fr prenant en compte le grade d’Anne-Marie Laurens, institutrice mixte communale de 1ère classe. La loi du 19 juillet 1875 apportera ensuite une amélioration sensible en fixant ce traitement à 900 fr pour les institutrices (et à 1200 fr pour les instituteurs). Pour atteindre cette somme, le conseil devra voter une imposition d’un centime supplémentaire (délibération du 4 octobre 1875).
L’équipement lors de la réouverture de l’école
Dans une délibération en date du 20 mai 1867, il s’agit de satisfaire à la dernière condition posée pour la réouverture de l’école en votant un budget d’équipement. « M. le Président a fait observer à son conseil municipal que l’école est dépourvue du mobilier nécessaire et qu’il est indispensable de faire l’achat des objets suivants : 1er huit tables et leurs bancs à 17 fr 136 fr 2ème un tableau noir et chevalet 10 fr 3ème une méthode de lecture cartonnée 14 fr 4ème quatre… 6 fr 5ème 2 cartes murales (France, Mappemonde) 10 fr 6ème 1 boulier compteur 5 fr soit un total de 181 fr Vu l’insuffisance des revenus de la commune, M. le Président fait connaître au conseil que les centimes à réserver, 93 fr 64, de l’instruction primaire seraient employés à l’achat du mobilier scolaire dont l’utilité est si reconnue mais comme la dite somme est insuffisante, l’administration supérieure voudra bien nous seconder pour réaliser la dite somme de 181fr ».
La commission municipale scolaire
Toutes les lois scolaires ont prévu l’instauration de commissions locales pour surveiller et encourager l’instruction primaire. Déjà, l’ordonnance royale de 1816 avait créé à cet effet dans chaque canton un « comité gratuit et de charité » auquel le curé et le maire devaient rendre compte chaque mois en veillant à ce que les enfants reçoivent l’instruction primaire et gratuitement pour les indigents. La loi Guizot de 1833 avait prévu dans chaque commune un « comité local de surveillance » composé du maire, du curé ou du pasteur et de quelques notables. La loi Falloux de 1850 qui avait créé des délégués cantonaux (devenus depuis 1969 les Délégués Départementaux de l’Education Nationale) avait également donné pour mission au maire et au curé d’assurer « la surveillance et la direction morale de l’enseignement primaire ». La loi Duruy de 1867 avait prévu de créer dans toute commune une caisse des écoles « destinée à encourager et à faciliter la fréquentation de l’école par des récompenses aux élèves assidus et par des secours aux élèves indigents ».
La grande loi Jules Ferry de 1882 sur l’instruction obligatoire comportera également la nomination d’une « commission municipale scolaire » dans chaque commune pour encourager et surveiller la fréquentation des écoles. Mais l’école publique est enfin devenue laïque et elle échappe désormais à la tutelle de l’église. Cette commission se composant du Maire, de l’Inspecteur primaire, du délégué cantonal et d’un tiers des membres du conseil municipal, le conseil municipal de Trébons choisit MM. Laurens Pierre, Caussette Pierre et Grougnet Jean-Paul (délibération du 13 juin 1882). Au renouvellement de cette commission en 1884 seront désignés MM. Laurens Pierre, Gays Paul et Caussette Pierre.
La rougeole à Trébons en 1884
Selon l’OMS, la rougeole est toujours en 2020 une maladie virale grave extrêmement contagieuse. Avant que la vaccination ne soit introduite en 1963 et qu’elle ne se généralise, on enregistrait tous les 2 ou 3 ans d’importantes épidémies qui pouvaient causer environ 2,6 millions de décès par an. La rougeole reste l’une des causes importantes de décès du jeune enfant, alors qu’il existe un vaccin sûr et efficace. On estime ainsi que 89 780 personnes, dont une majorité d’enfants de moins de 5 ans, sont mortes de la rougeole en 2016 dans le monde. A la fin du 19ème siècle, cette maladie due au Morbillivirus était la première cause de mortalité infantile et, tout comme pour le Covid 19 aujourd’hui, les autorités étaient donc très attentives lorsqu’elles étaient informées de l’existence d’un foyer d’infection. C’est ainsi que le 12 octobre 1884 le Sous-Préfet de St Gaudens écrit au Maire de Trébons : « Monsieur le Maire, je suis informé que la rougeole sévirait parmi les enfants de votre commune. Je vous prie de me donner des renseignements à ce sujet et de vous concerter avec M. le Médecin cantonal à l’effet de savoir s’il est nécessaire de faire fermer momentanément l’école publique. Cette mesure doit être prise d’urgence dans le cas où l’épidémie présenterait quelque caractère de gravité. Agréez, Monsieur le Maire, l’assurance de ma considération très distinguée ». Le Maire répond immédiatement au Sous-Préfet dans une lettre datée du 15 octobre 1884 : « M. le Sous-Préfet, suivant votre désir exprimé dans votre lettre du 12 courant, j’ai l’honneur de vous exposer que sept enfants de la commune qui fréquentent l’école publique ont été atteints de la rougeole et la contagion s’est propagée à tous les autres enfants plus jeunes mais nous n’avons à enregistrer aucun décès. Tous les enfants, dans le moment, sont hors de danger. L’école publique n’a pas été fermée par la bonne raison que tous les élèves malades l’ont été à la fois et que ceux qui avaient déjà eu la rougeole dans le passé ont pu continuer de la fréquenter sans inconvénient. Si, cependant, la maladie reprenait et si elle présentait quelque caractère de gravité je vous en informerais aussitôt et me concerterais avec M. le Médecin cantonal ».
La situation ne semble donc pas avoir connu localement de suites dramatiques mais l’inquiétude était bien réelle car il faut rappeler qu’à cette époque, même dans les petites vallées pyrénéennes les plus reculées on n’était pas à l’abri d’une atteinte par les virus : entre le 15 juillet et le 1er septembre de la même année 1884, à quelques kilomètres de là, le cholera avait contaminé 91 personnes dont 53 étaient décédées entre les villages de Milhas et de Soueich.
La création d’une bibliothèque scolaire en 1891
Dernier acte connu de la vie de l’école de Trébons, la création d’une bibliothèque scolaire à la demande de l’Inspecteur primaire de St Gaudens. Dans une délibération du 1er février 1891, « le maire engage le conseil municipal à entrer dans la voie tracée par les efforts de l’administration scolaire et à voter une petite somme destinée à approuver le principe de cette création ». « Le Conseil, considérant que la lecture des bons ouvrages est un excellent moyen d’éducation populaire mais que la commune de Trébons est absolument pauvre et qu’elle ne peut s’imposer de lourds sacrifices, vote un crédit de dix francs à l’effet d’établir en principe la création d’une bibliothèque populaire ». On a vu parfois dans ses délibérations le conseil municipal manifester davantage d’enthousiasme pour un projet dont le caractère scolaire ne lui semble sans doute pas justifié mais dont il veut bien admettre l’utilité en tant que moyen d’éducation populaire.
Dans la commune voisine de Cazarilh, l’instituteur Louis Saubadie décrivait pourtant en 1886 l’intérêt d’un tel équipement qui justifiait d’ailleurs un local spécifique au premier étage de la construction de la maison d’école qui était en cours : « Cette bibliothèque fut créée en 1878, une souscription et un vote du conseil municipal formèrent le premier fonds et M. le Ministre de l’Instruction accorda en 1879 une concession de livres. Aujourd’hui nous possédons 80 ouvrages divers qui sont lus régulièrement tous les hivers. En l’année 1884, il y a eu 96 prêts sur 27 familles que compte le village, soit en moyenne plus de 3 ouvrages par ménage ».
Répondant sans doute également à la sollicitation de l’Inspecteur primaire, la commune de Bourg d’Oueil, convaincue des « avantages qu’il y aurait pour les habitants de la commune de posséder une bibliothèque scolaire, tant au point de vue intellectuel comme moral », délibère ainsi le 7 février 1892 : « Considérant que les moyens de répandre l’instruction doivent préoccuper d’une manière toute spéciale les représentants d’une localité, ceux-ci s’étant toujours inspirés de cette ligne de conduite et ne voulant pas en départir, accorde pour cette création dix sapins pris dans la forêt d’Eitrére. Ces sapins, que nous sollicitons de la bienveillance de l’administration forestière, seront vendus par la diligence de M. le Maire et le montant sera versé entre les mains de l’Instituteur chargé par le conseil des fonctions de trésorier afin de hâter la création de la bibliothèque scolaire ».
La retraite de l’institutrice en 1897
Après 40 ans, 8 mois et 28 jours de bons et loyaux services, Anne-Marie Laurens prend sa retraite le 1er octobre 1897 à l’âge de 62 ans. Elle percevra une retraite d’un montant de 948 francs (JO du 21/02/1898). Son mari, Alexis Laurens, âgé de 57 ans, sera en retraite deux ans plus tard, le 1er juin 1899 après 37 ans, 6 mois et 17 jours de service. Bien qu’ayant eu une carrière plus courte, il percevra une retraite de 1200 francs soit 25% supérieure. Au recensement de 1896, le couple habite Trébons et ils ont une jeune domestique de nationalité espagnole, Thérèse Saoum, âgée de 16 ans. Trébons ne compte plus que 44 habitants dont seulement six enfants d’âge scolaire, et deux enfants de moins de six ans (Mathieu Raygot et Louise Bénadet).
Avec si peu d’enfants, comment imaginer que l’école survive à la retraite de l’institutrice ? Bien sûr celle-ci disait en 1886 qu’elle voyait « accourir à son école des élèves des communes voisines » mais on peut en douter quand on regarde qui étaient les instituteurs de ces communes : – Louis Saubadie à Cazarilh était déjà un instituteur reconnu, considéré comme une sorte de savant ; enfant du village où il était né le 6 juin 1854, l’hommage qui lui sera rendu dans la Revue de Comminges à sa mort en 1835 se terminera par ces mots : « sa vie fut aussi simple que bien remplie, toute consacrée aux enfants, à la science, à ses semblables et à sa famille ». – Jean-Marie Vidailhet à Saccourvielle était le frère d’Anne-Marie Laurens, issu d’une famille sans doute très estimée car leur père avait été instituteur à Saccourvielle de 1827 à 1857, date de son décès. – Alexis Laurens à St Aventin n’était autre que le mari d’Anne-Marie Laurens et également secrétaire de mairie comme ses deux collègues de Cazarilh et Saccourvielle.
Dans ces conditions, on peut douter de cet afflux d’élèves vers l’école de Trébons, à moins qu’il ne s’agisse de quelques filles attirées par la présence d’une enseignante, mais c’est peu probable car dans les écoles mixtes tenues par des instituteurs officiait en principe une femme qui « dirigeait les travaux à l’aiguille » comme c’était le cas par exemple à Benqué avec l’épouse de l’instituteur.
Dix ans plus tard, au recensement de 1906, Trébons compte encore 45 habitants dont le couple Laurens avec une « fille de service » de nationalité espagnole, Raymonde Salanova, 28 ans, qui « travaille la terre ». Il n’y a plus que deux enfants de six ans (Charles Bénadet et Roger Oustalet nés en 1900) et deux enfants de moins de six ans (Jeanne Oustalet née en 1904 et Louis Mariette né en 1903). Ces quatre enfants seront les seuls d’âge scolaire à Trébons au recensement de 1911 où la population sera tombée à 35 habitants. Sur le registre d’appel de l’école de Cazarilh pour l’année scolaire 1920-1921, il y a quatre enfants de Trébons : Simon et Jean Mounic, Noémie Sansuc et Jeanne Laurens.
6 – La construction d’une école : la « concurrence » du chemin vicinal
Alors que la quasi-totalité des petites communes des vallées d’Oueil et de Larboust ont profité des crédits d’Etat alloués à partir de 1878 pour construire leur école, comment expliquer que la commune de Trébons n’ait jamais envisagé une telle opération ? Il est vrai qu’à cette époque le besoin n’existait pas vraiment dans la mesure où l’école fonctionnait de manière tout à fait satisfaisante dans la maison de l’institutrice à qui la commune versait un loyer symbolique de 40 francs par an. Il faut aussi dire que pour construire une école, il fallait que la commune apporte une contribution financière prise sur ses ressources propres… or pendant toute cette période la commune était confrontée à un problème majeur de financement, celui de la construction du chemin vicinal n°1 reliant le village à la Route Thermale. La Route Thermale reliant Bagnères de Bigorre à Bagnères de Luchon avait été ouverte en 1846 et la commune avait dû participer à sa construction car, s’agissant d’un « chemin de grande communication », les expropriations nécessaires étaient mises par la loi à la charge des communes riveraines. Très vite se posa ensuite la question de la liaison entre le village de Trébons et cette route car le seul accès au village se faisait par un sentier muletier. Dans un premier temps, en 1870, le conseil municipal s’y opposa en faisant valoir que « l’ancien chemin était plus que suffisant pour la commodité de la commune de Trébons ». Mais ce projet est rapidement apparu comme inéluctable d’autant plus que les intérêts des deux communes de Trébons et de Cazarilh se trouvaient étroitement liés. S’engage alors à partir de 1880 une longue bataille qui va durer plus de 25 ans où les questions de financement des expropriations et des travaux seront permanentes, entre demandes de subventions et tentatives pour que la commune de Cazarilh prenne en charge une partie des travaux. C’est ainsi qu’en 1905, il reste encore 285 m de route à construire pour un montant de 4000 francs auquel la commune devrait participer pour 818 francs. Dans une délibération du 10 mars 1905, le conseil municipal indique qu’il ne peut pas envisager de « couvrir par un rôle volontaire cette somme de 818 francs sans compromettre les intérêts agricoles. » Pour preuve de sa bonne volonté, il s’engage à prendre à sa charge sous forme de journées de prestation volontaires l’entretien annuel de tous les chemins, et il conclut ainsi sa demande : « Nous avons le ferme espoir que l’administration compétente prendra en considération notre pénible situation et nous accordera les subventions nécessaires pour terminer notre principal chemin ».
Tant que cette question vitale de chemin n’avait pas été résolue, on peut comprendre que la commune ne pouvait pas envisager de construire une école dont le besoin avait d’ailleurs pratiquement disparu puisqu’il ne restait au recensement de 1906 que deux enfants d’âge scolaire. Les rares enfants de Trébons se rendaient donc à pied à l’école de Cazarilh, bénéficiant pour cela du chemin vicinal n°3 qui avait été entièrement financé par la commune de Cazarilh depuis la sortie est du village de Trébons (donc sur le territoire de Trébons) dans le cadre des rudes négociations qui avaient eu lieu entre les deux communes sur le financement des chemins permettant de relier Cazarilh à la Route Thermale.
Mais en 1952 cette dépendance restait encore mal vécue par les habitants de Trébons et il existait manifestement une certaine nostalgie de l’école de Trébons que le maire, Roger Oustalet, né en 1900, n’avait pourtant pas connue. C’est pourquoi le conseil municipal prend le 15 octobre 1952 une délibération reprenant les arguments climatiques qui avaient déjà été utilisés un siècle plus tôt : « Il a été décidé de demander à M. le Préfet de la Haute-Garonne une subvention la plus importante que possible, vu que la commune est très pauvre, sans ressources, pour la construction d’un bâtiment à usage scolaire dans la commune de Trébons de Luchon. En effet si la faiblesse des effectifs scolaires avait déterminé la fermeture de l’école de Trébons qui était un local particulier, les nouveaux effectifs s’élevant à neuf enfants pour 1952 et les années courantes imposeraient la création d’une école dans le village. D’autre part la longue durée de la mauvaise saison de novembre à fin avril provoque une mauvaise fréquentation, les communications avec Cazarilh étant pratiquement impossibles pour les jeunes enfants. La distance de 1 km 500 qui paraît faible est cependant aggravée par la différence de nivellement, le mauvais entretien de la route qui n’est jamais déneigée et qui présente de sérieux dangers pour de jeunes enfants ».
Il n’y aura bien sûr aucune suite à ce qui relevait plutôt d’un baroud d’honneur que d’un véritable projet, et les enfants de Trébons continueront à aller à Cazarilh jusqu’à la fermeture de l’école en 1966 alors qu’il n’y avait plus que 4 élèves.
7 – Les relations tumultueuses avec Cazarilh : école, chemin et projets de fusion
Entre ces deux minuscules villages si proches on aurait pu imaginer des rapprochements imposés par la raison et par une communauté de destin pour faire face aux dures réalités montagnardes. A travers l’histoire de l’école, on découvre une relation qui s’est toujours établie sur la base d’une concurrence plutôt que celle d’une coopération. Déjà, au moment de la Révolution, on peut se demander pourquoi avoir créé deux communes distinctes alors que Trébons n’avait que 63 habitants. Cazarilh qui en comptait trois fois plus était le siège de la succursale de l’église. Le curé qui habitait le presbytère desservait aussi l’église de Trébons qui n’était qu’une annexe. Loin d’être un facteur d’union, cette dépendance ecclésiastique symbolisait pour la commune du haut, Cazarilh, une forme de domination sur celle du bas, Trébons, dont les habitants auront toujours à cœur de montrer leur indépendance…
On a vu que l’école avait été un enjeu permanent malgré la distance très réduite séparant les deux villages qui souhaitaient chacun disposer d’un instituteur. Après la construction de l’école de Cazarilh en 1886, et dans un contexte démographique en berne, les attentes de Trébons se sont sans doute dissipées, mais elles ont ressurgi en 1952 ! De même, l’histoire de la construction de la route montre à quel point cet axe de communication essentiel pour les deux communes a été un sujet de conflit comme le raconte Louis Saubadie dans sa monographie de 1886. D’abord pour les cazapenois qui auraient souhaité la création d’une route côté est en direction de Moustajon pour atteindre directement Luchon. Ensuite pour les trébonsois qui exigeaient une participation financière de Cazarilh pour un chemin dont ils allaient partager l’usage. L’affaire allait durer plus de 25 ans ! On comprend ainsi que les différentes tentatives de fusion initiées par les autorités en 1846, 1853 et 1943 n’aient jamais pu aboutir. Cette opposition était assez logique pour Cazarilh qui aurait certes été le siège de la communauté fusionnée mais ne souhaitait sans doute pas partager ses richesses… Elle l’était également pour Trébons qui y aurait perdu son indépendance mais n’avait pas d’autre argument que celui des chutes de neige hivernales sur un secteur où l’exposition plein sud rendait pourtant très éphémères les éventuelles difficultés de communication ! L’histoire plus récente ne développera pas non plus de velléités de coopération. Bien que la population ait fondu comme neige au soleil, Trébons (13 habitants en 1968) construira en 1971 sa mairie et Cazarilh (17 habitants en 1982) reconstruira la sienne quelques années plus tard. Avec la bénédiction et les subventions de l’Etat et du Département.
Il est très improbable que les dernières élections qui ont donné lieu à l’installation d’un conseil municipal dans chacune de ces deux communes puissent apporter le moindre changement à cette situation… sauf à espérer que les conséquences dramatiques de la crise du coronavirus obligent enfin à développer de nouvelles formes de solidarité.
8 – Les gais villageois de Trébons en 1886
Pour conclure cette étude, on a envie de mieux connaître les habitants de ce petit village qui, comme le dit Anne-Marie Laurens, « ont su s’imposer à toutes les époques des sacrifices pour l’instruction de leurs enfants ». On trouve dans la monographie de l’institutrice un regard bienveillant sur cette population dont elle partage l’existence et dont on peut penser qu’elle envie un peu les plaisirs et la joie de vivre… « Le village ne compte que soixante-quatre habitants, dix maisons et dix ménages. La commune de Trébons est loin d’être dépourvue de ressources ; on y cultive avec succès le blé, le seigle, le millet, du sarrasin, des pommes de terre et en abondance des légumes. Ça et là s’élèvent quelques arbres fruitiers : pommiers, pruniers, poiriers, noyers, cerisiers. Le long de l’One s’étendent de riantes et grasses prairies qui donnent des fourrages en abondance. Aussi les habitants s’adonnent-ils à l’élevage du bétail à cornes. Pendant l’été, ils l’envoient aux montagnes de Saint-Aventin sur lesquelles ils ont un droit de pacage. Durant l’hiver, le bétail séjourne dans les granges foraines de Soupère et surtout de Houga, tout en ayant soin de retenir au village les vaches laitières. Tous les matins, les jeunes filles et au besoin les mères de famille descendent le lait à Luchon avec d’immenses marmites portant comme Perrette cotillons courts et souliers plats et comme elle aussi voyant parfois leurs rêves s’évanouir par terre. Avec la vente du bétail et des veaux, on peut dire que le lait constitue l’unique industrie des habitants de Trébons. Les habitants grâce à la température douce dont on y jouit malgré l’altitude de 800 mètres, et à la saine et abondante nourriture qu’ils se procurent, ont une santé robuste et florissante ; ils sont d’un caractère gai et ouvert, un peu Nomades. La proximité de Bagnères-de-Luchon, l’habitude de vivre dans les granges foraines, les entraînent loin du village. Les dimanches et jours de fêtes les maisons sont à peu près désertes, aussi bien que dans la semaine, ils vivent à leurs travaux et à leurs plaisirs. C’est une confiance aveugle dans la Providence ; non contents d’abandonner les maisons, ils laissent encore les portes ouvertes, et pourtant jamais de vols dans ce village où la probité est en honneur. Peut-être n’est-il pas inutile d’ajouter que chacun vit sur ses terres et jouit d’une certaine aisance ».
Quel plus bel hommage que de lui laisser ainsi le dernier mot avec pour illustration une photo prise alors qu’elle était en retraite depuis quelques années. On l’imagine à sa fenêtre, dans la maison bleue, regardant avec fierté ce village dont elle avait pendant 29 ans instruit tous les enfants !
Sources : Archives numérisées de la Haute-Garonne Monographies des communes des vallées d’Oueil et de Larboust (1886) Registres d’état civil – Recensements de la population Délibérations et correspondances des conseils municipaux Article au format PDF pour impression
Alors que la confection de masques prend soudain une dimension vitale pour l’avenir du pays, beaucoup se lancent dans une fabrication frénétique, provoquant des ruptures de stock sur les élastiques et un décret du 23 avril 2020 de réouverture immédiate des magasins de textiles, tissus et autres merceries.
Mais se pose alors la question toute simple du savoir-faire qui pourrait permettre à chaque foyer de subvenir de manière autonome à un besoin devenu d’autant plus nécessaire que son caractère non obligatoire n’est lié qu’à une inavouable situation de pénurie.
Au moment où on se rend compte des problèmes que pose l’abandon de la fabrication de produits du quotidien que la mondialisation nous permet (ou permettait ?) d’obtenir ailleurs à bien moindre coût, on peut se demander comment des tâches essentielles à la vie courante étaient assurées avant le développement de la société de consommation.
C’est ainsi qu’on trouvera ci-dessous un regard historique très synthétique et sans nostalgie sur les avatars de la couture, une compétence souvent féminine qui était devenue après la Révolution l’une des missions de l’Ecole de la République et qui est tombée en désuétude dans les années 1960. A titre d’illustration, on verra la trace à la fin du XIXème siècle, des efforts faits pour assurer à toutes les filles l’enseignement des travaux à l’aiguille dans les écoles primaires de deux petites communes des vallées d’Oueil et de Larboust, au cœur des Pyrénées.
La couture, une épreuve pratique du certificat d’études primaires
Créé en 1866 avec cinq épreuves orales et trois épreuves écrites dont la célèbre dictée, le certificat d’études primaires s’était enrichi en 1897 d’une épreuve pratique d’une durée de 50 minutes : couture pour les filles et dessin ou agriculture pour les garçons. Pour préparer cet examen emblématique de l’enseignement primaire, dans les classes de fin d’études, les filles de 11 ans à 14 ans bénéficiaient donc d’un enseignement qui n’avait pas de visée professionnelle mais concernait les usages familiaux de la coupe, de la couture, du raccommodage, de la marque, du tricot et du tissage selon la terminologie utilisée dans les instructions officielles de 1945.
Bien que le certificat d’études n’ait été officiellement supprimé qu’en 1989, les classes de fin d’études vont rapidement disparaître après 1959 avec l’allongement de la scolarité obligatoire jusqu’à 16 ans et la mise en place du collège pour tous en 1975. Ainsi les dernières générations de couturières familiales seront formées à l’école primaire au début des années 60, peu avant que le modèle de la femme au foyer soit radicalement remis en cause lors les événements de 1968 !
Les épreuves de couture au Certificat d’Etudes Primaires Elémentaires en 1984 Recueil de 72 examens complets publié par G. Mirande aux Editions du Champ-de-Mars 09700 Saverdun. Pierre Jouve, qui a été instituteur puis conseiller pédagogique dans la circonscription d’Yssingeaux en Haute-Loire se souvient que « chaque année, un instituteur, G. Mirande, collectait les sujets des circonscriptions qui voulaient bien les lui envoyer et les réunissait en deux recueils (livre de l’élève + livre du maître), pas très chers et très pratiques. Aussi dans les classes uniques, ces recueils de l’élève étaient très utilisés car offrant une vaste panoplie des épreuves et des sujets donnés en toutes matières. » Concernant les sujets donnés en 1984, seuls la moitié d’entre eux proposent une épreuve de couture. Il s’agit le plus souvent d’un ourlet et de l’utilisation d’un point de couture ou de broderie : point de chaînette, point de croix, point de tige, point de chausson, point de piqûre, point de côté, point de feston… Parfois la tâche se limite à rattacher deux morceaux de tissu ou à repriser un drap. D’autres nécessitent sans doute un savoir-faire plus élaboré comme pour la confection d’une bride ou d’une boutonnière (cliquer sur le recueil).
Les travaux à l’aiguille dans les écoles primaires au XIXème siècle
Alors que la Révolution avait d’abord souhaité que les garçons et les filles soient élevés en commun dans les écoles de la République (discours de Robespierre à la Convention le 13 juillet 1793), Lakanal avait établi dès 1794 le principe d’une école primaire divisée en deux sections où les garçons sont confiés à un instituteur et les filles à une institutrice. Il avait aussi défini le programme d’instruction des filles : les filles apprendront à lire, à écrire, à compter et les éléments de la morale républicaine. Elles seront formées aux travaux manuels des différentes espèces utiles et communes. Une ordonnance royale de 1836 confirmera le programme de l’instruction primaire élémentaire dans les écoles de filles : l’instruction morale et religieuse, la lecture, l’écriture, les éléments du calcul, les éléments de la langue française, le chant, les travaux à l’aiguille et les éléments du dessin linéaire. L’interdiction de réunir filles et garçons constituera pendant longtemps un obstacle majeur à la scolarisation des filles car la loi Guizot de 1833 n’avait rendu obligatoire que la création d’écoles de garçons dans les communes de 500 habitants. Il faudra attendre la loi Falloux de 1850 pour que soit fixée à 800 habitants l’obligation de créer une école de filles, et que soit enfin reconnue « en fonction des circonstances la possibilité d’établir des écoles primaires mixtes ». Mais la plupart de ces écoles mixtes étant dirigées par des instituteurs, elles sont restées peu attractives pour les filles, raison pour laquelle la loi Duruy de 1867 a prévu que « dans toute école mixte tenue par un instituteur, une femme nommée par le préfet, sur la proposition du maire, est chargée de diriger les travaux à l’aiguille des filles ». Une circulaire conseillait même que le choix se porte « sur la femme, la fille ou la sœur de l’instituteur, si toutefois elle est en mesure de donner de bonnes leçons aux enfants », mais ces dispositions resteront peu appliquées tant que l’enseignement ne sera pas devenu obligatoire par la loi Jules Ferry du 28 mars 1882.
La direction des travaux à l’aiguille en vallée d’Oueil et de Larboust
Alors qu’une école mixte fonctionnait en 1886 dans chacune des vingt communes des vallées d’Oueil et de Larboust, trois seulement étaient tenues par des institutrices et la question de l’enseignement des travaux à l’aiguille se posait donc dans toutes les autres écoles comme on peut le constater dans les délibérations des conseils municipaux.
Benqué Dessus-Dessous – Délibération du 18 novembre 1886 Monsieur le Maire expose que l’article 1er de la loi du 10 avril 1867 dispose que dans toute école mixte tenue par un instituteur une femme est désignée pour diriger les travaux à l’aiguille des filles. Bien que le nombre de filles qui fréquentent l’école mixte dirigée par M. l’Instituteur soit très élevé, il n’a pas été possible jusqu’à ce jour de faire une présentation pour la direction des travaux manuels à l’école, ne se trouvant pas dans la commune de femme remplissant les conditions voulues pour une bonne direction des travaux à l’aiguille. Actuellement cet abus doit cesser et je suis heureux de pouvoir solliciter de la part de M. le Préfet la nomination de Madame Mouné Jeanne Catherine née Redonnet, femme de l’instituteur actuel qui remplit toutes les conditions prescrites.
Oô – Délibération du Conseil municipal du 10 novembre 1892 Sur la réclamation collective faite par les pères de famille intéressés, M. le Président signale au Conseil l’opportunité de créer dans la commune d’Oô un emploi de directrice des travaux à l’aiguille, mesure qui aurait pour résultat de combler une lacune regrettable et de provoquer une fréquentation plus régulière de l’école. Le Conseil, considérant que toute école mixte doit avoir pour principe et pour but d’assurer avec une égale impartialité l’instruction des enfants des deux sexes, qu’il existe dans la commune des enfants du sexe féminin réunissant les conditions d’âge voulues pour être admis à l’école, considérant que le vœu général, exprimé par la population locale, tend à faire recevoir aux enfants de l’autre sexe les premiers éléments de couture simultanément avec ceux de lecture, d’écriture et de calcul comme étant plus pratiques que ces derniers et plus appropriés aux nécessités de la position de fortune des familles, Délibère : il sera créé dans la commune d’Oô… un emploi de directrice des travaux à l’aiguille et Madame Condesse Hortense… est présentée à l’agrément de M. l’Inspecteur d’Académie en vue d’être désignée pour occuper cet emploi…
La lecture de ces deux délibérations traduit bien les enjeux d’un enseignement pratique qui, malgré l’obligation scolaire, était considéré comme un argument essentiel pour convaincre les parents de l’intérêt de la scolarisation des filles, en particulier dans un milieu rural modeste où l’importance de l’école se mesurait aussi à l’aune de considérations utilitaristes. D’ailleurs les objectifs fixés par les programmes de 1882 précisaient que ces « exercices du corps devaient préparer, et prédisposer, en quelque sorte, les filles aux soins du ménage et aux ouvrages de femmes ». Ils devaient permettre également de « faire comprendre aux jeunes filles l’importance du travail manuel, de leur en donner l’habitude et de le leur faire aimer ».
La morale de l’histoire… pour le jour d’après
Parce que toute histoire doit se terminer par une morale, en d’autres temps on aurait sans doute conclu sur des considérations sexistes et sociales, sur la conception du rôle de la femme au service de l’homme comme sur l’asservissement du peuple à des tâches manuelles.
Mais aujourd’hui, avec le réchauffement climatique et les conséquences incalculables du coronavirus, cette petite histoire pourrait avoir une toute autre signification… Elle nous rappelle en effet que notre société, qui se dit développée, est passée en à peine plus d’un siècle d’une vie autonome en quasi autarcie à un modèle où chacun de nos gestes élémentaires est prétexte à consommer des produits fabriqués dans un ailleurs aussi lointain qu’inconnu et dans des conditions totalement incompatibles avec un développement durable, sans même parler du respect de droits fondamentaux auxquels nous nous disons très attachés. On a longtemps cru qu’il s’agissait là d’un progrès irréversible car nous pouvions sans trop mauvaise conscience faire semblant d’en ignorer les effets négatifs. Mais le jour d’après, lorsque les masques seront tombés…, on va faire comment ?
En 1884, le choléra arrive à Toulon par le bateau La Sarthe en provenance de Saïgon. Il gagne ensuite rapidement Marseille et Arles. C’est la cinquième épidémie de choléra depuis le début du 19ème siècle. Elle provoquera un peu plus de 3000 décès dans la ville de Marseille.
Comme on peut le voir sur la carte l’épidémie de choléra semble cependant être restée pour l’essentiel dans le Sud-Est de la France et dans le Nord-Ouest de l’Italie… Elle a notamment touché Carcassonne comme l’indique un article de La Dépêche du 27/9/2015 : Après la grave épidémie de choléra survenue en 1854, celle de 1884 apparaît moins meurtrière : 576 décès pour le département dont 162 pour Carcassonne qui fut l’une des villes les plus touchées, après Toulon (378), mais avant Toulouse (73) et Nîmes (35). Les traitements étaient fantaisistes : se tenir au chaud, rentrer chez soi de bonne heure, éviter la bière jeune, prendre un demi-verre d’huile associé à un vin «généreux»… La saignée était recommandée, mais les sangsues étaient en nombre insuffisant… L’administration municipale entreprend une campagne d’assainissement avec balayage, nettoiement des rues et mise en place d’un système de collecte des matières fécales : au lieu d’être évacuées par les fenêtres ou vidées dans le ruisseau, elles seraient désormais recueillies par des tonneaux-vidange étanches dans lesquels les citadins devaient vider leurs vases… Pour la France, le choléra fit au cours du XIXe siècle 500 000 morts, chiffre inférieur à celui des décès par tuberculose ou par typhoïde.
Face à ce nouvel épisode de choléra, Louis Combet, Médecin de la Faculté de Montpellier, et conseiller municipal de Lyon, publie alors une petite brochure où il fait part de ses analyses et de ses propositions fondées sur son expérience dans la lutte contre le choléra à Nîmes en 1865… Même si on peut s’interroger sur la pertinence des remèdes du bon docteur Combet, entre purification par le feu et potion magique, on lira dans ce texte quelques réflexions philosophiques qui, en avril 2020, sont toujours d’une actualité brûlante… On en trouvera ci-dessous quelques extraits ainsi qu’un lien vers le document original publié sur le site de la BNF.
Tâchons d’être tous un peu plus dignes du nom d’homme, et ne nous laissons point aller à ces frayeurs exagérées et bêtes qui arrivent à suspendre à la fois le commerce et l’industrie, aussi bien que la vie d’un peuple !
Dès que le fléau, qu’il soit SPORADIQUE ou asiatique se déclare dans un pays, on doit soir et matin allumer de grands feux que ce soit avec le bois ou le charbon de terre. La flamme dévore les insectes qu’elle attire et décompose les miasmes en gaz inoffensifs. On fait évaporer dans les maisons du vinaigre camphré. On porte sur soi un flacon de sel de Mindérérus ou d’alcool camphré, que l’on flaire de temps en temps. On mange une nourriture aillacée et épicée. On reste sobre dans ses habitudes, on évite les assommoirs, les brasseries, les boissons glacées et les excès de tous genres, de tous genres, entendez bien jeunes gens, souvent entraînés à la débauche par de vieux viveurs ! Assainissez vos appartements en brûlant du vinaigre, du benjoin ou de l’encens, mais surtout en ne laissant aucun objet susceptible de décomposition dans les coins de vos demeures. Nous croyons que partout, dans les lycées, écoles, établissements quelconques, où se trouvent des préaux suffisants, on ferait bien de mettre ces conseils à exécution, et d’allumer des feux chaque soir, ce qui serait une joie pour les enfants autant qu’une mesure de salubrité et de préservation pour tout le monde. [En cas de maladie]… Tout d’abord, envoyez chercher un médecin ; mais, en attendant son arrivée, voici ce qu’il importe defaire : lavements, infusions chaudes (fleurs de bourrache et menthe additionnée d’une petite cuillerée de rhum par grande tasse), frictions, cataplasmes, potions aromatiques légèrement laudanisées (infusée de germandrée et bourrache, teinture de cannelle, Rhum vieux, Liqueur d’Hoffmann… )
La SOLIDARITÉ, cette grande loi de la nature, que méconnaissent trop les hommes, peut seule nous guérir du choléra comme de tous les autres fléaux. Que nul ne se sauve, poussé par la peur et l’égoïsme; mais que tous s’entraident fraternellement, dans la cité frappée par le fléau, pour le détruire.
On trouvera également dans le journal Le Petit Marseillais du 19 juillet 1884 (page 4), des annonces publicitaires pour des remèdes assurément tout aussi efficaces… et dans le Journal Nice-Matin du 3/2/2020 un article sur l’épidémie de choléra à Nice en 1884 où alcool et fumigations avaient précédé la chloroquine.
Certes cet épisode cholérique de 1884 peut paraître fort anecdotique au regard du nombre de victimes mais il s’inscrit dans ces grandes épidémies qui depuis l’Antiquité ont marqué la vie des femmes et des hommes… Certaines vallées pyrénéennes ont même été durement touchées comme on le verra plus loin avec les « nuées cholériques » du Rossignol et du Ger… Et puis d’autres en ont également souffert de manière indirecte, comme on peut le lire dans le registre des délibérations du conseil municipal de la petite commune de Oô en plein cœur des Pyrénées.
En ce temps là, le tourisme pyrénéen était déjà très actif, en particulier autour de la station thermale de Bagnères de Luchon où le chemin de fer était arrivé en 1873. Dès le début du 19ème siècle, pour accueillir les touristes, un particulier avait même construit une baraque et une barque au Lac de Séculège (appelé aujourd’hui Lac d’Oô), lac de montagne à 1500 m d’altitude auquel on accédait, et on accède toujours, par un sentier après une heure de marche. En 1833 la commune de Oô avait racheté la baraque et la barque et elle y avait mis un « fermier » moyennant une location annuelle fixée à 80 fr en 1840. Elle avait ensuite fait construire en 1859 une hôtellerie pour une somme de 11 250 fr qu’elle avait remboursée par annuités de 1000 fr grâce aux revenus du bail qui se montait au départ à la somme de 2975 fr par an et avait atteint 4375 fr en 1884.
Mais cette hôtellerie était tributaire des aléas liés aux crues qui détruisaient régulièrement le pont permettant d’y accéder, ainsi que d’une concurrence qui ne permettait pas toujours au fermier de rentabiliser sa location… Et puis, en 1884, elle a dû subir les conséquences du choléra, même si le préjudice reconnu par le conseil municipal n’a pas été aussi important que le réclamait le fermier !
Délibération du Conseil municipal de Oô du 8 novembre 1884 (Source : archives numérisées de la Haute Garonne)
Monsieur le Président communique au Conseil une lettre en date du 15 octobre dernier formulée par M. Laurens Jean-Marie fermier de l’hôtellerie du Lac de Séculège [Lac d’Oô], lettre par laquelle le sieur Laurens demande une réduction de 1500 fr sur le prix du fermage de l’année courante qui s’élève à 4375 fr Le Conseil, considérant que la saison d’été 1884 a été gravement atteinte dans son importance à cause de l’épidémie cholérique qui a sévi sur plusieurs points de la France, Considérant que cette épidémie a éloigné de la station thermale de Luchon non seulement beaucoup de Français mais encore la totalité des étrangers notamment les Anglais et les Espagnols qui avaient coutume d’arriver en grand nombre, ce qui doit avoir empêché le fermier d’effectuer les recettes qui se réalisent dans cet établissement pendant une année ordinaire, Considérant qu’il importe à la commune dans l’intérêt des adjudications à venir de dégrever dans une juste proportion le fermier actuel pour des pertes qui résultent d’un cas purement fortuit, Délibère : une réduction de 400 fr sera accordée au sieur Laurens sur le prix de son fermage de l’année 1884 et un crédit de pareille somme sera ouvert au budget de la même année pour couvrir ce déficit.
Quelques documents photographiques datant du début du XXe siècle témoignent de l’activité touristique générée par le Lac : – le stationnement au Val d’Asto qui donnait lieu en 1901 à la perception d’un droit basé sur la superficie du terrain occupé : cheval de selle 2 fr, cheval de trait 2 fr, voiture ordinaire à 2 roues 3 fr, voiture ordinaire à 4 roues 5 fr, voiture automobile 8 fr – la promenade sur le Lac où le cahier des charges de 1883 prévoyait que la barque municipale ne pouvait accueillir plus de dix personnes pour un circuit dont la durée était fixée à 35 minutes au tarif de 1,25 fr par personne pour une traversée directe et 1,50 fr pour une traversée circulaire ! – l’hôtellerie du Lac de Séculège dont le bail qui comprenait le bâtiment communal et ses dépendances, le lac, le bateau et les pâturages aux environs du lac, fixait les conditions d’exploitation. Ainsi, en 1883, il était précisé que le fermier devait être constamment pourvu de pain, de vin et d’eau de vie qu’il ne pouvait vendre qu’aux prix ci-après : 0,15 le kg de pain, 0,15 le litre de vin et 0,25 le litre d’eau de vie…
Les « nuées cholériques » sur les rives du Rossignol et du Ger en 1884
Alors que la Société des Etudes du Comminges avait été créée en 1884, dans son premier bulletin publié en 1885 sous la direction de Julien Sacaze, un article est consacré à l’épidémie de choléra dans l’arrondissement de St Gaudens en 1884 (pages 119 à 135).
On trouvera ci-dessous un lien vers ce document qui est en ligne sur le site de la BNF ainsi qu’un résumé des propos du Dr Chopinet qui relate avec une grande précision la propagation de l’épidémie entre les deux villages de Milhas et de Soueich suivant le cours des ruisseaux du Rossignol et du Ger, et qui développe ensuite sa théorie personnelle sur le mode de transmission du choléra qui a fait ici 53 morts en six semaines, du 15 juillet au 31 août 1884. Preuve que le débat scientifique sur ces questions de contamination était déjà d’actualité !
A Marseille, paniqué par le développement du choléra, le sieur Barès qui habitait la ville avec ses deux filles, décida de rentrer dans son village de Milhas où ils arrivèrent le 15 juillet 1884. Quelques jours plus tard, sa femme et l’une de ses filles seront les premières victimes, créant une vive émotion dans le village et les communes voisines, et on prit immédiatement des mesures énergiques pour arrêter le mal : désinfection de la maison, incinération des vêtements, relégation des survivants de la famille dans une grange isolée.
Hélas à partir du 3 août on déplore de nouvelles victimes, à Milhas d’abord puis dans les villages en aval sur une dizaine de km : Sarradère, Fontagnères (Aspet), Cerciat, Oueillas, et enfin Soueich. Mis à part deux cas importés à St Gaudens par un habitant d’Aspet, l’épidémie ne dépassera pas le village de Soueich et s’arrêtera brusquement début septembre après avoir contaminé 91 personnes et fait 53 victimes.
Le Dr Chopinet ne conteste pas que la présence des cours d’eau aient « exercé une influence prépondérante sur le mode de développement de l’épidémie » mais il ne croit pas, contrairement à la thèse la plus communément admise, que ce soient les eaux de ces deux ruisseaux qui aient servi de véhicule aux germes cholériques, que ce soit par consommation directe ou par lavage du linge.
Selon lui, les « nuées cholériques » sont contenues dans l’atmosphère. Dans une vallée étroite comme celle qui s’étend de Milhas à Soueich l’écoulement des eaux du torrent crée un vide qui provoque le déplacement de la couche d’air superficielle. Or, pendant toute la durée de l’épidémie, l’air a été le plus souvent calme et l’atmosphère virulente de Milhas a pu ainsi se transporter lentement de village en village… . Il prétend même que les oiseaux perçoivent cette modification de l’atmosphère et s’éloignent de la région atteinte, ce qui aurait été observé dès le début de l’épidémie à Aspet, les oiseaux revenant au mois de septembre lorsque le mal eut cessé ses ravages.
Dernière minute – Lien entre la propagation du coronavirus et le taux d’humidité de l’air ? Le président de l’Association Climatologique de la Moyenne Garonne annonce avoir lancé une étude sur le lien entre la propagation du coronavirus et le taux d’humidité dans l’air (La Dépêche du 20/4/2020), hypothèse qui n’est pas très éloignée de la théorie du Dr Chopinet…
Sur la carte de Cassini réalisée à la veille de la Révolution comme sur le plan cadastral napoléonien de 1837, on trouve un grand nombre de moulins répartis entre les 20 communes des vallées d’Oueil et de Larboust, symboles d’une activité humaine fonctionnant largement en autarcie, vivant de l’agriculture (céréales et fourrage) et de l’élevage (vaches et moutons).
Alors que ces deux vallées étaient à l’apogée de leur peuplement avec un total de 3941 habitants au recensement de 1841, une seule commune, Saint Aventin, possédait une « maison d’école » composée d’une seule classe, construite en 1835. Il faudra attendre 1883 à Castillon et 1885 à Oô, Benqué, Cazaril et St Paul pour voir cinq autres écoles se construire puis d’autres suivirent plus ou moins vite (par exemple Garin en 1891 et Bourg d’Oueil en 1922).
On donc peut légitimement se demander si les populations montagnardes de ces deux vallées ont dû attendre les lois Jules Ferry de 1881 et 1882 pour que leurs enfants puissent enfin bénéficier des grands principes établis par la Révolution française d’une instruction laïque, gratuite et obligatoire.
Cette interrogation est d’autant plus intéressante qu’elle nécessite un travail d’investigation pour essayer de reconstituer les principales caractéristiques de la vie quotidienne de ces petits villages et essayer de comprendre comment l’Ecole pour tous a pu s’imposer dans un contexte a priori peu favorable compte tenu d’une ruralité et d’un isolement qui les tenaient à l’écart des grands courants intellectuels de l’époque, De plus, la population vivait dans une relative aisance car les modes de vie permettaient à chacun de vivre de son travail d’une manière jugée plutôt satisfaisante sans avoir nécessairement besoin de rechercher dans l’instruction les moyens d’améliorer sa situation.
Or il existe sur ce sujet des sources d’informations extraordinaires qui ne semblent guère avoir fait l’objet d’études même si trois d’entre elles ont été retranscrites (Cazarilh, Trébons et Bourg d’Oueil), ce sont les monographies communales rédigées entre 1885 et 1886 par les directeurs des écoles primaires du département, sous l’impulsion du Conseil départemental de l’instruction publique. On trouve également sur le site du département de la Haute-Garonne des archives numérisées portant notamment sur les délibérations des conseils municipaux, les registres d’état civil et les recensements qui peuvent permettre de compléter des informations ou de vérifier des hypothèses.
L’ensemble de ces documents permet de retrouver des informations très concrètes sur l’évolution de l’école et de la société de l’époque vue à travers le regard des instituteurs mais pour bien les comprendre il est également nécessaire de les replacer dans le contexte national des principales lois scolaires qui ont mis progressivement en place l’instruction primaire depuis la Révolution jusqu’aux débuts de la Troisième République.
Il restera ensuite à rechercher les traces de l’instruction primaire dans la plus petite des communes de ces deux vallées, celle de Trébons de Luchon qui n’a jamais eu de maison d’école et dont la mémoire collective n’en porte aucun souvenir. A peine évoquée dans la monographie de l’institutrice en 1886, on découvrira alors quelques éléments de la vie difficile de l’Ecole du village à travers les délibérations du Conseil municipal entre 1841 et 1891. Ce sera l’objet d’un prochain article.
L’instruction primaire
dans les monographies
communales de 1885-1886
Rédigées entre 1885 et 1886 par les directeurs des écoles primaires du département, sous l’impulsion du Conseil départemental de l’instruction publique, les monographies ont toutes été construites sur la base d’un plan type qui comprenait comme dernier chapitre un historique de l’enseignement dans la commune et une description du fonctionnement de l’école. Pour les 20 communes des vallées d’Oueil et de Larboust, on dispose de 19 monographies. Il n’en manque qu’une, celle de Benqué, mais les archives municipales numérisées de Benqué apportent de précieuses informations sur l’instruction dans cette commune qui sera non seulement la première à faire construire une école à la fin du 19ème siècle dans la vallée d’Oueil mais aussi la dernière où fonctionnera une école au 20ème siècle dans le cadre d’un regroupement de tous les enfants de la vallée.
Bien qu’aucune commune n’atteigne le seuil de 400 habitants fixé au moment de la Révolution, et qu’une seule – St Aventin – possède une maison d’école, une école fonctionne en 1886 dans chacun des 20 villages des vallées d’Oueil et de Larboust. Mis à part Caubous (créée en 1881 mais dont les enfants fréquentaient auparavant l’école de Cirès), les monographies situent le début de ces écoles entre 1810 et 1840. L’action de ces écoles est d’ailleurs jugée comme plutôt efficace au regard du très petit nombre de personnes qui ne savent ni lire ni écrire, compétences attestées aussi bien par l’absence de conscrits illettrés que par l’absence de conjoints ne sachant pas signer leur nom sur leur contrat de mariage.
La population qui avait atteint son apogée en 1831 en vallée d’Oueil (1484 habitants) et en 1851 en vallée de Larboust (2591 habitants) connaissait déjà un exode important que rien n’a pu ensuite enrayer. En particulier dans la vallée d’Oueil, les neuf communes ne comptaient plus en 2017 que 153 habitants, ce qui n’a pas empêché que, malgré l’épidémie de coronavirus, dans chacune il soit procédé en mars 2020 à l’élection d’un conseil municipal dont le maire, à n’en pas douter, continuera à défendre becs et ongles son indépendance, sa pseudo-autonomie et ce qu’il pense être les intérêts de ses concitoyens… comme l’ont fait tous ses prédécesseurs qui ont su vaillamment résister à diverses tentatives de fusions concernant par exemple Trébons et Cazarilh ou encore Bourg d’Oueil, Cirès et Caubous !
Des curés aux instituteurs communaux
1 – Le temps des curés
Avant la Révolution, et probablement jusque dans les années 1810, une forme d’instruction est donnée par les curés dans un cadre qui associe sans doute très étroitement les rudiments de lecture et d’écriture avec l’éducation religieuse. Les prêtres qui desservaient parfois deux ou trois communes transmettaient ainsi leur savoir lorsqu’ils le pouvaient. C’était par exemple le cas à Poubeau où officiait un prêtre qui avait acquis le titre de docteur en théologie mais pas à Cirès où les prêtres étaient Espagnols et ne maîtrisaient pas suffisamment le français pour l’enseigner. Seule la commune de St Aventin aurait vu « des anciens séminaristes ouvrir des écoles dans lesquelles ils joignaient quelques notions de latin à l’enseignement du français ». A Saccourvielle, « entre 1796 et 1810, certains enfants se rendaient soit dans les communes voisines, soit à Luchon pour étudier les rudiments de la langue française ». A Mayrègne, on évoque même le recours à des précepteurs : « avant 1836, les familles qui voulaient faire donner quelque instruction à leurs enfants appelaient chez elles une personne pouvant s’acquitter de cette tâche. »
2 – La vague des instituteurs libres entre 1810 et 1840
La liberté d’enseignement qui a été l’une des rares mesures actées par la Convention ne pouvait à elle seule suffire à mettre en place un système d’instruction publique mais, comme le soulignent les auteurs des monographies de Portet et de Jurvielle, la Révolution avait fait naître l’idée d’une éducation nationale, ouverte à tous et prendre conscience de la portée sociale de l’instruction primaire, premier degré de cette éducation.
C’est dans ce cadre que l’initiative individuelle, le regard bienveillant des collectivités et la demande des populations ont conduit à partir des années 1810, presque dans chaque village des deux vallées, à l’installation d’instituteurs libres dont l’action était placée par l’ordonnance royale de 1816 sous le double contrôle du curé et du maire qui devaient surveiller et encourager l’instruction primaire, mais également veiller à ce qu’elle soit donnée gratuitement aux enfants indigents.
Il suffisait de louer une pièce chez un particulier pour ouvrir une classe à des élèves qui devaient apporter chaque fin de semaine un paiement en nature appelé la « norme » dont la valeur devait être au minimum celle d’un œuf. La condition de ces enseignants était tout à fait précaire au point qu’ils devaient le plus souvent exercer en même temps un autre métier pour survivre. De plus, leurs compétences étaient sans doute très limitées, malgré les dispositions de l’ordonnance royale de 1816 prévoyant l’exigence d’un certificat de moralité et d’un brevet de capacité.
A défaut d’archives communales parfois détruites dans les incendies des villages, les éléments rapportés dans les monographies concernant cette période proviennent de « témoignages oraux de vieillards dignes de foi »…
A Cazaril, « la misère de la famille de l’instituteur était extrême. Souvent le maître d’école était le barbier du village et le carillonneur. Les soins qu’il donnait aux enfants n’étaient pas aussi rétribués que ceux du pâtre de la commune. »
A St Paul, avant 1834 et « seulement pendant la saison d’hiver, une école qui le plus souvent était dirigée par un maître non breveté était ouverte dans la commune. Tous les élèves y étaient admis sans distinction d’âge. L’instituteur ne gagnait presque rien. »
A Castillon, l’école « remonte à 1815 environ. Elle fut d’abord dirigée par des instituteurs libres, messieurs Souparis et Coulot. Ces maîtres ne recevaient aucun traitement ni de la commune ni de l’Etat. Ils ne percevaient que le produit de la rétribution scolaire que payaient les élèves. Ces maîtres ne faisaient classe que les six mois d’hiver. »
Quant à l’efficacité de la scolarisation, elle était forcément réduite du fait que la classe ne fonctionnait que pendant les mois d’hiver et n’accueillait vraisemblablement que des garçons, même si on note dans quelques rares communes comme à St Paul, à Oô et à St Aventin la présence d’une école libre de filles.
3 – L’avènement des instituteurs communaux
La loi Guizot en 1833 a posé le principe d’une école primaire élémentaire dans chaque commune avec un enseignant pourvu d’un brevet de capacité et dont le traitement est assuré par la commune avec une part fixe d’un montant minimum de 200 francs et une part provenant de la contribution financière des parents d’élèves sous le forme d’une rétribution scolaire mensuelle dont le montant est fixé par le conseil municipal, sauf pour les élèves indigents qui doivent être admis gratuitement.
C’est ainsi qu’entre 1833 et 1850 les écoles libres sont progressivement remplacées par des écoles publiques communales dans presque chacun des villages des deux vallées, avec un fonctionnement permanent toute l’année assuré par un enseignant pourvu d’un brevet de capacité. C’est le cas à Poubeau dès 1831, à Castillon et Billière en 1833, puis à Bourg, St Paul, Garin et St Aventin en 1834, à Mayrègne en 1836, à Cirès en 1840, à Trébons et Cazaril avant 1841, à Saccourvielle en 1848, à Oô en 1850. A cette période, dans la commune de Gouaux, c’est avec le même instituteur nommé Sansuc, qui avait ouvert une école libre, que l’école fut érigée en école communale publique.
Pour les enseignants, il s’agit de changements majeurs car ils sont enfin devenus, comme les curés, des fonctionnaires communaux, avec un traitement fixe payé par la commune et garanti par l’Etat, une indemnité de logement, et un complément provenant de la « rétribution scolaire » versée par les parents au percepteur. Toutes ces prestations ont remplacé le paiement en nature apporté chaque semaine par les élèves. De plus, la commune prend également en charge le loyer de la maison d’école, même s’il s’agit le plus souvent d’une simple chambre de dimensions réduites chez un particulier, mal éclairée et mal aérée, équipée de manière rudimentaire.
Mais il ne faut pas penser que ce mouvement de fond qui trouve son origine dans la Révolution, qui a été conforté par l’ordonnance royale de 1816, impulsé par la loi Guizot de 1833 et confirmé par la loi Falloux de 1850, s’est imposé comme une évidence, car les dispositions législatives prises par les différents gouvernements n’avaient qu’un caractère d’incitation dans la mesure où elles n’étaient accompagnées d’aucun financement. Elles se heurtaient donc à l’éloignement des centres de décision, aux ressources très modestes de ces communes montagnardes qui avaient déjà beaucoup de mal à assurer le traitement de leurs fonctionnaires (curé, garde champêtre, garde forestier, carillonneur, tambour afficheur, secrétaire de mairie, pâtre communal…) mais aussi l’entretien de leurs chemins. C’est en effet à cette même époque que la construction – terminée en 1846 – de la Route Thermale n°1 reliant Bagnères de Luchon à Bagnères de Bigorre en passant par le col de Peyresourde a permis le passage de voitures à cheval et créé de nouveaux besoins pour l’accès aux villages se trouvant à l’écart de cette nouvelle voie de communication.
Même après la décision de création d’une école communale, son fonctionnement s’est trouvé confronté à la difficulté de recruter des enseignants. Ainsi à Poubeau, où Bertrand Larritou a été le premier instituteur public en 1831, à son départ vers 1850 la commune est restée sans école jusqu’en 1879. On verra également le fonctionnement intermittent de l’école de Trébons entre 1841 et 1867 malgré les efforts du conseil municipal comme celui de l’école de Benqué qui est restée fermée de 1849 à 1869 lorsque la commune était annexée à celle de Saccourvielle.
A Cazarilh, dans une délibération du 11 aout 1850, « suite à une lettre de M. le Sous-Préfet qui a pour objet d’appeler le conseil municipal à se prononcer sur le choix d’un instituteur pris soit parmi les instituteurs laïques, soit parmi les instituteurs membres d’associations religieuses vouées à l’enseignement et reconnues par l’Etat… Le Conseil, vu la loi du 11 janvier 1850dans son article 2, attendu que la direction de l’Ecole par un membre d’association religieuse paraît offrir plus d’avantages à la jeunesse en ce qu’elle se trouverait placée dans de meilleures conditions d’instruction, de morale et de discipline, attendu que la commune de Cazaril-Laspènes est depuis longtemps sans instituteur et qu’on ne peut plus priver les enfants des bienfaits de l’instruction sans de graves inconvénients, en conséquence exprime le vœu que l’enseignement primaire soit dirigé dans cette commune par un membre d’association religieuse. »
Quant à l’efficacité de la scolarisation, certains affirment qu’elle s’est grandement améliorée avec le fonctionnement permanent de l’école, avec l’augmentation du traitement des instituteurs et avec l’exigence du brevet de capacité. L’instituteur de St Aventin mentionne tout particulièrement son prédécesseur, « Condesse Jean-Bertrand, actuellement en retraite et Maire de St Aventin qui a donné pendant 44 ans l’enseignement primaire public avec autant d’intelligence que de dévouement de 1835 à 1879. » Deux autres communes ont connu également des instituteurs qui sont restés très longtemps : Jean-Bertrand Arrieu pendant 40 ans à Mayrègne de 1836 à 1876 et Jean-Antoine Vidailhet pendant 30 ans à Saccourvielle de 1827 à 1857.
L’instituteur de Portet affirme même que l’enseignement n’est plus donné par « de simples maîtres d’écoles », mais que « le personnel des instituteurs compte des hommes savants et entièrement dévoués à l’éducation de la jeunesse. » Bien qu’il ne le cite pas, il pense sans doute à son collègue de Cazarilh, Louis Saubadie, dont la monographie est très riche, illustrée de schémas scientifiques remarquables, et qui deviendra à partir de 1923 un membre éminent de la Société Savante Julien Sacaze. « C’était un botaniste passionné et, en dehors de ses heures de classes ou de son secrétariat de la mairie de Cazarilh, il était toujours par voies et par chemins pour découvrir, même dans les endroits les plus escarpés, les plantes rares pour son herbier. » Né à Cazarilh le 6/6/1854, il ne prendra sa retraite que le 1/10/1919 après 45 ans, 3 mois et 25 jours de service (Journal Officiel du 7/10/1920) ayant été successivement instituteur à Loudet, Cazarilh, Bagnères de Luchon et Montauban de Luchon. L’hommage qui lui sera rendu dans la Revue de Comminges après sa mort en décembre 1935 se termine par ces mots : « sa vie fut aussi simple que bien remplie, toute consacrée aux enfants, à la science, à ses semblables et à sa famille. » On en trouve ici un extrait évoquant des qualités de médiateur… qui sont toujours d’une étonnante actualité !
Il faut cependant dire que les deux principaux critères pour évaluer la performance de l’enseignement peuvent paraître un peu superficiels puisqu’il s’agit de l’absence de conscrits illettrés et de l’absence de conjoints ne sachant pas signer leur nom sur leur contrat de mariage… On peut donc légitimement émettre quelques doutes sur la vision très optimiste de ces hussards qui sont manifestement tout acquis à la cause de l’Ecole républicaine…
D’autant plus que les monographies mettent toutes l’accent sur les conditions matérielles très insuffisantes et sur la fréquentation scolaire très faible pendant l’été, sans compter que personne n’ose traiter explicitement la question de l’instruction des filles.
Un cadre institutionnel aux évolutions lentes
1 – Les aléas de l’instruction des filles
Alors que la Révolution avait souhaité que les garçons et les filles soient élevés en commun dans les écoles de la République (discours de Robespierre à la Convention le 13 juillet 1793), l’ordonnance de 1816 avait exclu toute mixité en précisant sans ambiguïté dans son article 32 que « les garçons et les filles ne pourront jamais être réunis pour recevoir l’enseignement. »
La loi Falloux de 1850 dans son article 15 évoque bien « en fonction des circonstances la possibilité d’établir des écoles primaires dans lesquelles seront admis les enfants de l’un et l’autre sexe » mais rappelle que cette éventualité n’est pas envisageable « s’il existe dans la commune une école publique ou libre de filles », et fixe à 800 habitants le seuil où la création d’une école de filles est obligatoire.
La loi Duruy de 1867 a ensuite abaissé ce seuil à 500 habitants, en précisant que « dans toute école mixte tenue par un instituteur, une femme nommée par le préfet, sur la proposition du maire, est chargée de diriger les travaux à l’aiguille des filles. » Afin de bien rappeler que la mixité n’est pas la règle, il est bien précisé que « tout instituteur ou toute institutrice libre doit avoir obtenu l’autorisation du conseil départemental pour recevoir dans son école des enfants d’un sexe différent du sien. »
On mesure les obstacles qu’il a fallu surmonter au sein de ces petits villages de montagne pour que les filles bénéficient elles aussi de l’instruction. Aucune monographie ne donne d’information précise sur la date à partir de laquelle l’école communale est devenue mixte. On sait que seules quatre communes ont vu fonctionner une école libre de filles :
A St Paul de 1840 à 1880 où, au décès de l’institutrice de l’école libre de filles, l’école primaire communale de garçons est devenue une école mixte.
A Oô«les jeunes filles recevaient leur instruction chez une institutrice libre subventionnée de deux cents francs par an de la commune et autorisée à prélever une rétribution scolaire calculée à raison de un franc par mois de fréquentation et par élève. En 1881, la dernière institutrice qui a exercé à ces conditions ayant été nommée institutrice communale ne put être remplacée immédiatement faute de candidat. C’est à cause de cela que, en janvier 1882, l’école communale spéciale aux garçons fut transformée en école mixte par décision du Conseil départemental de l’Instruction publique sur proposition de la municipalité. En janvier 1883, une autre institutrice ayant demandé la faveur d’ouvrir une école libre dans la commune d’Oô, cette dernière assura à cette institutrice un traitement annuel de cinq cents francs, outre son logement, à condition que l’instruction serait gratuitement donnée par elle à toutes les filles de la commune d’âge scolaire. Depuis cette époque, l’école communale quoique mixte peut être considérée comme école spéciale aux garçons vu que les filles vont toutes à l’école libre. »
A Cirès, où « depuis 1840, les instituteurs étaient brevetés ; il y avait à côté d’eux une institutrice libre sans brevet et capable tout au plus de donner les premières notions de lecture et d’écriture ».
A St Aventin, où « l’enseignement est donné par un Instituteur public laïque, qui reçoit un traitement fixe de 1250 fr et par une Institutrice laïque libre qui reçoit de la commune une subvention de 250 fr, mais pour des raisons majeures, Monsieur le Préfet, n’a pas autorisé le crédit pour l’exercice 1886. » On trouve dans le registre des délibérations du conseil municipal de St Aventin des informations sur cette école libre qui a été tenue de 1862 à 1881 par Eugénie Caillau dans sa maison d’habitation, puis par Jeanne-Marie Caillau de 1882 à 1888. Eugénie Caillau, qui était née à Garin, avait apparemment succédé à une autre institutrice de la famille, Suzanne Caillau. On note aussi une protestation en octobre 1881 de l’ancien Maire et instituteur en retraite, Aventin Barrau, au motif que la famille Caillau tenait également un débit de boissons dans sa maison ! Dans une délibération du 20/1/1894, le Conseil municipal de St Aventin confirme que «l’école publique dirigée par un instituteur n’ayant été de tout temps fréquentée uniquement que par les garçons, les filles d’un temps immémorial ont suivi l’école libre, dirigée aux diverses [époques] par des institutrices que la commune subventionne et a toujours subventionné, et où elles apprennent les travaux de couture. »
A défaut d’éléments permettant dans les monographies de savoir si les filles étaient scolarisées, il était intéressant de rechercher si les délibérations des conseils municipaux contenaient des indices concernant la mixité. Par exemple les prénoms des élèves indigents admis à fréquenter gratuitement l’école et dont la liste devait être établie chaque année sous la responsabilité conjointe du maire et du curé… Parmi les rares documents disponibles, on trouve ainsi en 1834 à St Aventin, 8 garçons sur 8 enfants indigents, en 1842 à Benqué, 9 indigents pour une école de 26 garçons, en 1850 à Cazaril, 4 garçons sur 4 enfants indigents, en 1852 à Bourg d’Oueil, 5 garçons sur 5 enfants indigents.
Une seule exception dans ces listes, l’école communale de Trébons qui en 1850 était mixte : en effet, sur 4 enfants indigents, il y avait 2 filles et 2 garçons. Cette situation ne devait toutefois pas durer car, faute d’enseignant, c’est un instituteur libre qui dirigera ensuite pendant au moins trois ans de 1852 à 1854 une école primaire de garçons !
On peut penser que la plupart des écoles de village, libres ou communales, étaient des écoles de garçons jusqu’aux années 1850. Ce qui est certain c’est qu’en 1885-1886, après la loi sur l’obligation scolaire de 1882, toutes les écoles communales étaient devenues mixtes, sauf celle de Oô, qui avait pourtant le statut d’école communale mixte, mais où toutes les filles étaient scolarisées à l’école libre de filles, et celle de St Aventin où les filles continuaient à fréquenter l’école libre de filles. Pour avoir une idée de la place des femmes dans la société de l’époque, il faut rappeler que les femmes n’ont obtenu le droit de vote en France qu’en 1945. Elles étaient donc naturellement absentes des conseils municipaux et n’apparaissaient dans les actes d’état civil que lors des mariages ; pour les naissances et les décès, les deux témoins exigés par la loi étaient toujours des hommes.
Selon les dispositions de la loi Duruy de 1867, les écoles mixtes aurait dû bénéficier de l’intervention d’une femme pour diriger les travaux à l’aiguille des filles. Sans doute cette mesure ne concernait-elle pas les écoles qui étaient tenues par des femmes, mais il n’y en avait que 3 en 1885-1886. Pour les autres, on trouve une seule information en regardant les délibérations du Conseil municipal de Benqué qui propose en 1886 la nomination de la femme de l’instituteur « pour diriger les travaux à l’aiguille ». Toutefois, si la mixité des écoles s’était finalement imposée c’était en fonction d’un contexte qui ne permettait pas, pour satisfaire à l’obligation scolaire, d’envisager de construire deux écoles distinctes dans ces petites communes déjà fortement touchées par l’exode rural. La preuve qu’il ne s’agissait pas d’une volonté délibérée de rassembler filles et garçons, c’est que les plans de ces petites écoles à une seule classe qui vont être construites dans les années 1880 vont tous faire apparaître de manière au moins symbolique un traitement à part des filles et des garçons avec des entrées, des cours et des préaux séparés comme à Cazarilh ou à Oô.
2 – La maîtrise de la fréquentation scolaire : une mission impossible !
Toutes les lois depuis l’ordonnance de 1816 ont prévu des comités locaux pour surveiller et encourager l’instruction primaire, non seulement en mettant en place des écoles mais en veillant à ce que les enfants les fréquentent régulièrement. Ces mesures pouvaient peut-être avoir quelque effet en milieu urbain, mais dans ces petits villages de montagne, elles se sont heurtées pendant très longtemps, jusqu’au milieu du 20ème siècle, à des réalités sociales et économiques incontournables qui conduisaient à employer les enfants aux travaux des champs et à la garde des troupeaux.
A l’époque des instituteurs libres rémunérés uniquement par les rétributions en nature ou en espèces, l’école ne fonctionnait naturellement que pendant les mois d’hiver. A partir du moment où les instituteurs communaux ont reçu un traitement fixe, l’école est certes restée ouverte d’octobre à juin mais sans aucune possibilité d’obliger les parents à se priver de l’aide de leurs enfants… même lorsque l’école est devenue obligatoire en 1882, avec des commissions municipales qui auraient dû y veiller…
Bourg : « En hiver les classes sont suivies avec soin, il n’en est pas de même en été ; les domestiques étant rares, les parents se servent des enfants soit pour les travaux soit pour la garde des brebis. Cela est d’autant plus regrettable que les filles et les garçons sont doués d’une heureuse mémoire et ont beaucoup d’intelligence. » Cirès : « Au lieu des beaux résultats que pourrait espérer l’instituteur, on n’obtient presque rien parce que les élèves oublient en 7 mois une bonne partie de ce qu’ils ont appris pendant l’hiver. Pourra-t-on jamais remédier à ce mal ? Cela me paraît difficile, la rareté des domestiques et des ouvriers forçant les parents à se servir de leur fils et de leur fille soit pour la garde des troupeaux, soit pour les travaux de l’agriculture. » Cazaril : « La fréquentation des écoles laisse toujours à désirer dans nos montagnes ; tous les instituteurs s’accordent à dire que la loi du 18 mars 1882 n’a pas produit les effets qu’on en attendait. Cela tient surtout à la situation peu aisée des familles. Il faut d’abord vivre, entendons-nous répéter tous les jours, et pour cela l’aide de nos enfants n’est pas à dédaigner. Pendant une bonne moitié de l’année les travaux agricoles occupent la plupart des enfants ; l’émulation ne peut rien alors une absence en entraîne une autre ; souvent un prétexte suffit. Dès que l’enfant a atteint 10 ans, il ne faut guère s’attendre à le voir en classe durant les mois de la belle saison. »
Portet : « La fréquentation des classes, régulière en hiver, laisse à désirer pendant l’été. La commission scolaire ne se réunit pas assez souvent pour mettre en exécution la loi du 28 mars 1882. Pour les enfants qui fréquentent régulièrement l’école, l’instruction est excellente car l’intelligence ne fait pas défaut à ces gais montagnards. » Jurvielle : « Pendant 6 ou 7 mois de l’année, de mai en novembre la fréquentation laisse beaucoup à désirer. On occupe les enfants, dès l’âge de 8 et 9 ans, à la garde des troupeaux qui sont la principale ressource du pays ; d’un autre côté la commission scolaire ne fonctionnant pas du tout, il y a évidemment plus d’absences. » Poubeau : « La fréquentation laisse en général à désirer, les bras faisant défaut à l’agriculture, les parents doivent utiliser des tout petits enfants. Cependant, et d’après l’avis d’hommes réfléchis aimant à ce que l’instruction fut répandue, propagée chez la jeune génération, les parents devraient se gêner un peu plus et la commission scolaire qui encore ne s’est jamais réunie pourrait s’en occuper et remédier à cette grande lacune, à ces mailles rompues de l’enseignement qui plongent la jeunesse dans le dégoût de l’étude et dans l’ignorance. »
Garin : « La fréquentation des élèves de l’école de Garin est supportable pendant l’hiver, mais pendant l’été elle laisse beaucoup à désirer. Un certain nombre d’enfants sont occupés à la garde des bestiaux, une autre partie est occupée aux travaux agricoles, et ce qui est bien fâcheux, c’est que les parents ne se gênent pas toujours assez pour envoyer leurs enfants à l’école. » Billière : « La fréquentation laisse beaucoup à désirer ; peu d’élèves ont une fréquentation régulière ; on les emploie soit à la garde des bestiaux soit aux travaux des champs, le manque de bras est en cause. » Castillon : « La fréquentation scolaire laisse en général à désirer. Les bras faisant défaut pour l’agriculture, les parents occupent dans la belle saison leurs enfants. Cependant à mon avis la commission scolaire est parfois trop tolérante dans certaines saisons de l’année. »
3 – Le boom de la construction d’écoles à partir de 1880
Une seule commune, celle de St Aventin, dispose d’une maison d’école depuis 1835, mais il s’agit hélas d’un « bâtiment insalubre car adossé à un tertre jusqu’à la toiture », et l’instituteur souhaite en 1886 « une école plus digne, plus spacieuse et surtout plus saine », d’autant que « les ressources de la commune le permettent ».
Il faut dire que St Aventin, avec 330 habitants, est la commune la plus peuplée. Elle a été longtemps le siège d’une perception et a réussi à conserver son étude notariale créée en 1842 et qui sera transférée à Luchon en 1911.
Le plan du rez-de-chaussée dans la monographie de Alexis Laurens montre également la bibliothèque créée en 1864.
Toutes les autres écoles jusqu’en 1880 fonctionnaient dans un local, loué à un particulier qui était parfois, comme à Trébons, l’instituteur lui-même. Il s’agissait le plus souvent d’une chambre de dimensions réduites, mal éclairée et mal aérée, sans aucun préau ni dépendances, située parfois dans un bâtiment délabré comme à Portet ou au-dessus d’une écurie comme à Mayrègne.
Deux exceptions cependant à Jurvielle où « la salle d’école est convenable, en bon état, bien éclairée et bien aérée » ainsi qu’à Poubeau où « la salle d’école est très exposée au soleil avec un beau point de vue, sans voisinage et loin de tout tracas ».
Cinq communes viennent de faire construire leur maison d’école en bénéficiant du fonds spécial créé par la loi du 1er juin 1878 pour l’établissement et l’amélioration des bâtiments scolaires : – Castillon en 1883, au centre du village, un bâtiment qui comprend une belle salle de classe, une salle de mairie et à l’étage un vaste logement pour le maître, selon les plans réalisés par l’architecte Bauzil en 1879. – Oô en 1885, un bâtiment comprenant au rez-de-chaussée une salle de classe à deux entrées distinctes pouvant accueillir 56 élèves, deux préaux, deux cours et à l’étage un logement avec trois chambres pour l’instituteur. – Benqué en 1885 pour un montant de 9 987 fr 97 y compris les frais d’acquisition du terrain, le mobilier scolaire et celui de l’instituteur, selon les plans réalisés par l’architecte Bauzil en 1881. – Cazarilh dont les travaux sont presque terminés en avril 1885 et dont le bâtiment qui à coûté 11 000 fr comprend au rez-de-chaussée une salle de classe pour 24 élèves, deux préaux, deux cours, et à l’étage un logement pour l’instituteur et une bibliothèque populaire. Les plans ont été réalisés en 1881 par l’architecte Bauzil. – St Paul dont les travaux en avril 1885 « sont très avancés ».
Lorsque les travaux sont terminés, il est procédé à une visite de réception à laquelle participent l’entrepreneur, l’architecte et l’Inspecteur de l’enseignement primaire qui, pour cette mission de contrôle, perçoit une rétribution de 100 fr versée par la commune (délibération du conseil municipal de Oô en date du 15/2/1885).
Six autres communes ont en 1886 un projet de construction plus ou moins avancé : – Saccourvielle où la commune, « malgré ses modiques ressources », vient de voter une subvention pour la construction d’une maison d’école dont les plans et le devis sont approuvés. – Poubeau qui a obtenu une subvention de 5000 fr pour l’achat, la réparation et l’aménagement de l’école dans une vieille maison très vaste. – Cathervielle où le Maire, un instituteur en retraite, assure que plan et devis sont déjà faits (ce qui est confirmé par la délibération du conseil municipal du 11 mai 1883). – Billière où la commune a envoyé au ministère un dossier qui ne semble pas en règle… et où une école sera construite sur la route de Garin selon les plans réalisés par l’architecte Maylin en 1893. – Caubous où il y a un projet de construction à l’ouest du village auquel « l’inspecteur ferait bien de s’opposer parce que les tourmentes s’y font trop sentir et la neige s’y amoncelle en amas épouvantables ». – Cirès où un second projet a été envoyé au ministère fin août 1884, mais l’instituteur trouve que « l’école située au NO du village serait trop exposée aux vents froids, à la neige et aux tourmentes ». Le projet aboutira en 1891 comme on peut le lire dans une délibération du Conseil municipal de Caubous datée du 23/9/1891 qui saisit le Conseil de Préfecture afin que lui soit payé par l’entrepreneur «le droit de carrière pour l’extraction de la pierre qui a servi à bâtir la maison d’école de Cirès» . L’école a finalement été construite à l’entrée sud du village selon les plans réalisés par l’architecte Bauzil en 1888.
Cent ans après la Révolution, il aura fallu attendre la première des lois Jules Ferry, celle du 1er juin 1878 qui affecte un crédit de 60 millions à la construction des écoles, pour que les petites communes de ces deux vallées montagnardes puissent s’engager dans des opérations pour lesquelles il faut aussi qu’elles recourent à l’emprunt vu la faiblesse de leurs ressources. Certaines vont en profiter pour construire également, associée à l’école, une salle de mairie, comme par exemple à Castillon. Ce sera pour beaucoup le premier projet immobilier collectif, après le temps des églises et des presbytères.
4 – Le matériel scolaire
On dispose d’assez peu d’informations si ce n’est pour déplorer l’indigence et la vétusté du matériel d’enseignement mis à disposition des instituteurs, comme à Billière où « le mobilier scolaire devrait se renouveler car son état de délabrement et sa construction vicieuse est très nuisible aux enfants. » ou à Garin où « une bonne partie du matériel scolaire est en mauvais état et insuffisant ». Une seule monographie, celle de Portet, fait un inventaire du matériel scolaire : « Une carte murale de la France, un planisphère terrestre, une carte murale de l’Europe, une carte de la Judée, une carte du département de la Haute-Garonne, un tableau des poids et mesures, deux tableaux noirs, cinq tables et cinq bancs constituent tout le mobilier scolaire. »
Rares sont celles qui considèrent que les efforts faits par les municipalités sont satisfaisants, comme à Cazarilh où l’instituteur après avoir rendu hommage à la qualité des soins intellectuels donnés par ses prédécesseurs à la population, souligne que « ces résultats très satisfaisants sont dus pour une bonne part à l’intelligence et au dévouement de l’administration municipale qui dans une commune où les recettes annuelles ne s’élèvent pas à 200 fr, a su créer des ressources pour construire un local scolaire à 12 000 fr, pour acheter un compendium métrique, pour créer une caisse des écoles qui possède aujourd’hui 83 fr, pour acheter un matériel géographique complet et enfin pour former une bibliothèque scolaire populaire. »
Il faut rechercher dans les délibérations des conseils municipaux pour avoir quelques précisions sur le matériel scolaire, qu’il s’agisse de celui qui est à la disposition des instituteurs ou de celui qui leur serait nécessaire. C’est ainsi qu’on trouve en date du même jour, le 10 février 1832, une délibération très lyrique des conseils municipaux de Bourg d’Oueil et de Billière formulée exactement dans les mêmes termes :
« Considérant que l’instruction rend l’homme meilleur, plus moral, plus ami du travail, plus heureux, Considérant que dans l’état actuel de la Civilisation et des institutions qui régissent la France, un des besoins indispensables c’est les connaissances, c’est les lumières, que dès lors on doit extrêmement encourager l’Education, Considérant que la plupart des communes sont très pauvres, qu’elles n’ont pas de quoi pourvoir à un traitement suffisant pour l’instituteur, ni aux réparations de la salle de l’école, Considérant que ce qui perpétue la mauvaise méthode de l’enseignement individuel c’est l’absence de livres uniformes parce que la pauvreté de beaucoup de pères de famille ne permet pas de les astreindre à acheter des livres à leurs enfants, que dès lors ceux-ci arrivent à l’école pourvus de ceux qu’ils ont trouvé dans la maison paternelle, et qu’ainsi l’instituteur est obligé de faire lire séparément chacun de ses enfants, que le meilleur moyen de répandre les bonnes méthodes c’est de fournir aux indigents des livres uniformes et pour les gens aisés d’en acheter à leurs enfants, Considérant enfin que dans un bon gouvernement c’est à lui de pourvoir aux besoins de l’instruction lorsque les communes ne peuvent subvenir à la dépense, C’est pourquoi le Conseil délibère qu’il sera demandé : – Vingt livres pour apprendre à lire d’après la méthode de Viard à 1fr25 chaque – Vingt grammaires de Lhomond – Vingt exemplaires de l’ouvrage intitulé Ecrits par Franklin pour la lecture à 25 centimes chaque – Vingt exemplaires de l’ouvrage intitulé Minéralogie populaire formée pour l’instruction élémentaire (parce que les connaissances et l’économie rurales doivent entrer pour beaucoup dans l’enseignement primaire) à 40 centimes chaque par M. Brard – Deux arithmétiques contenant les règles édictées dans le commerce à l’usage des pensionnaires des frères des écoles chrétiennes par Beport à deux francs chaque – Deux grammaires par Charles Constant Le Tellier à 1fr50 chaque L’extrait de la présente délibération sera adressé à Monsieur le Président du Comité pour être envoyée à Monsieur le Préfet. »
On trouve également dans le registre des délibérations de Trébons, à la date du 20 mai 1867, une liste du matériel prévu pour la réouverture à la rentrée 1867 de l’école communale, condition exigée pour la nomination d’un enseignant : « huit tables et leurs bancs à 17 fr, un tableau noir et chevalet à 10 fr, une méthode de lecture cartonnée à 14 fr,…, 2 cartes murales (France, Mappemonde) à 10 fr et 1 boulier compteur à 5 fr, pour un montant total de 181 fr »
Dans une délibération datée du 8 février 1878, le conseil municipal de Bourg d’Oueil constate que « l’école est dépourvue de mobilier scolaire car elle ne possède en tout qu’une table et deux bancs ; le conseil, voulant que l’école soit dans un état convenable, demande à M. le Préfet de vouloir agir auprès du conseil général afin qu’une somme de 300 fr soit accordée à l’école communale de Bourg d’Oueil pour les tables et les bancs nécessaires et de bien vouloir accorder aussi les cartes nécessaires que possèdent les autres écoles, sauf la carte murale du département. » Ayant apparemment reçu une réponse l’informant qu’il n’aurait d’aide que s’il faisait lui-même un effort, le conseil municipal a ensuite délibéré le 23 juin 1878 pour dire qu’il acceptait « de s’imposer 3 centimes additionnels… afin que le reste soit accordé par le conseil général » !
5 – Les bibliothèques scolaires
C’est un arrêté du 1er juin 1862 pris par le ministre de l’Instruction publique qui établit dans chaque école primaire publique une bibliothèque scolaire. Il stipule qu’aucun ouvrage ne peut être acquis pour la bibliothèque sans l’autorisation de l’inspecteur d’académie et que les livres sont prêtés non seulement aux élèves mais aux familles. Cet arrêté sera mis en œuvre dès 1864 à l’école de St Aventin, puis dans les écoles de Cazarilh (1878), Cirès (1879), Castillon (1884) et enfin Oô (1885) avec un enjeu qui semble être principalement le prêt d’ouvrages aux familles comme en témoignent les auteurs des monographies. D’ailleurs, à Cazarilh comme à Castillon, on parle d’une « bibliothèque populaire » pour désigner la pièce qui a été prévue à cet effet dans le projet de construction de l’école.
La promotion des bibliothèques scolaires qui se traduit par des dotations ministérielles régulières apparaît ainsi comme un objectif aussi politique qu’éducatif, ce qui explique notamment que seuls les ouvrages autorisés y soient admis et que le ministère ait réalisé dès 1865 un catalogue officiel comprenant quelques 2000 références dans lequel les communes devaient choisir lorsqu’elles voulaient acheter des livres. Il est vrai qu’une circulaire du 24 juin 1862 avait précisé l’intérêt de l’opération qui devait « permettre, dans les longues veillées d’hiver, d’échapper aux dangers de l’oisiveté, soulignant les attraits tout puissants, surtout dans les campagnes de la lecture à haute voix faite le soir au sein de la famille ». A cet effet, « sans proscrire impérieusement les ouvrages de pure imagination, il ne faut les laisser entrer dans les bibliothèques scolaires qu’autant que les populations auront quelque chose à gagner à leur lecture : ce ne sera pas une vaine satisfaction de curiosité qu’ils devront y trouver mais de bons et salutaires exemples. »
– St Aventin : « à la maison d’école est annexée une bibliothèque scolaire remontant au 27 mars 1864 ; elle compte 60 livres de classe et 71 livres destinés aux familles et que la population lit avec plaisir. » – Cazarilh : « cette bibliothèque fut créée en 1878, une souscription et un vote du conseil municipal formèrent le premier fonds et M. le Ministre de l’Instruction … accorda en 1879 une concession de livres. Aujourd’hui nous possédons 80 ouvrages divers qui sont lus régulièrement tous les hivers. En l’année 1884, il y a eu 96 prêts sur 27 familles que compte le village, soit en moyenne plus de 3 ouvrages par ménage. Dans le projet de construction de l’école, le palier supérieur donne sur deux portes, la première s’ouvrant dans la salle de la bibliothèque populaire et l’autre sur le logement de l’instituteur… » – Cirès : « créée en 1879, la bibliothèque possède 56 volumes. Sur mes instances pressantes, l’Administration forestière avait consenti à marquer deux sapins dans la forêt de Caubous et deux dans celle de Cirès ; leur vente produisit une somme de soixante francs avec laquelle on acheta une bibliothèque-armoire de 35 francs et le surplus fut employé à l’acquisition de livres à l’usage des élèves. Dans la même année, M. le Ministre de l’Instruction publique nous a accordé 54 volumes. Nous devons les deux autres à la bienveillance de M. l’Inspecteur d’Académie qui nous les envoya en 1880. Le nombre de prêts s’élève annuellement à 45 environ. Il serait désirable qu’on obtienne une subvention nouvelle et capable de développer l’amour de la lecture parmi nos montagnards qui sont tous désireux de s‘instruire. » – Castillon : « l’école est pourvue d’une bibliothèque populaire depuis le 1er octobre 1884. Elle est sous la responsabilité de l’instituteur. Le corps de menuiserie fut compris dans le mobilier scolaire. Aussitôt installé, la commune fit l’acquisition d’un premier fonds de livres. Bientôt elle reçut une concession de livres de M. le Ministre de l’Instruction Publique et des Beaux-Arts. Elle se compose aujourd’hui de 43 volumes. Les prêts jusqu’ici ont été assez nombreux. Il y en a eu dans six mois 25. » – Oô : « la bibliothèque scolaire a été fondée en 1885 ; elle compte actuellement quarante trois volumes classiques à l’usage des élèves et vingt deux volumes provenant d’une concession ministérielle en date du 24 novembre 1885. »
6 – Les caisses des écoles
Instituées
par la loi Duruy du 10 avril 1867, elles sont « destinées à encourager et à faciliter la
fréquentation de l’école par des récompenses aux élèves assidus et par des
secours aux élèves indigents. » Elles
sont rendues obligatoires par la loi Jules Ferry du 28 mars 1882, et
encouragées par des subventions d’Etat d’un montant égal à celui des
subventions communales.
Pourtant, en 1886, seules trois communes ont réussi à créer, tout récemment, une caisse des écoles : – Cazarilh : « La caisse des écoles fut fondée seulement en 1884 par un vote du Conseil municipal et une subvention de l’Etat. Elle a déjà rendu de très grands services car la population de Cazarilh est pauvre et les enfants manquent souvent des fournitures scolaires les plus indispensables. » – Castillon : « La commune est dotée d’une caisse des écoles au capital de 75 fr 09, subvention du conseil municipal. Une demande a été adressée à M. le Préfet de la Haute-Garonne dans le but d’obtenir de M. le Ministre sur les fonds votés à cet effet une subvention de pareille somme. » – Mayrègne : « La caisse des écoles a été fondée. 20 francs ont été votés par la commune et pareille somme a été accordée par l’Etat. »
Quelques instituteurs ont bien essayé de créer une caisse des écoles, mais sans succès, faute d’obtenir un financement du conseil municipal, mais aussi du fait de l’absence d’élèves indigents comme il est dit à Caubous ou à Cirès.
Quant aux caisses d’épargne scolaires, seules les écoles de Caubous (7 livrets), de Cirès (5 livrets), de Cazarilh (8 livrets) et de St Aventin (21 livrets) ont pu en créer une sans que leur usage et leur objectif soient précisés. Il s’agissait de recevoir les petites économies des élèves et de les verser à une caisse d’épargne et de prévoyance. Cette institution créée au Mans en 1834 se développa à partir de 1874 et fut même encouragée un peu plus tard, en 1908, par un arrêté du ministère des postes et télégraphes intéressant les instituteurs publics pour les versements qu’ils effectuent au nom de leurs élèves à la Caisse nationale d’épargne.
Comme le dit l’instituteur de Cirès, « les familles ont en abondance les choses nécessaires à la vie, mais l’argent leur manque et ils n’en laissent pas à la disposition de leurs enfants », ce que confirme celui de Billière en disant que « les petits sous des enfants sont rares ».
Une génération d’instituteurs entre traditions et valeurs républicaines
1 – Des instituteurs « enfants du pays »
La simple lecture des monographies donne assez peu d’informations sur ces instituteurs de 1885-1886 qui restent très discrets sur leur situation personnelle et sont pour la plupart difficiles à identifier à travers seulement une signature ou des initiales (HC à St Paul), un nom le plus souvent sans prénom, voire un complet anonymat comme à Poubeau avec la mention mystérieuse « instituteur chargé de faire le travail »… à la place de l’institutrice communale. On pouvait imaginer que la Troisième République, à l’aube des années Jules Ferry, avait envoyé dans ces villages montagnards une troupe de hussards formés à l’école normale de Toulouse et chargés de venir apporter les bienfaits de l’instruction à des populations rurales isolées dans une situation géographique peu accessible, à l’écart des grandes voies de communication.
Pour essayer d’en savoir un peu plus, il est possible d’explorer trois sources d’informations disponibles sur le site des archives numérisées de la Haute-Garonne : – les registres d’état-civil dont les actes font toujours référence à des témoins en mentionnant leur âge et leur profession, avec l’habitude dans certaines communes de faire appel régulièrement à l’instituteur comme témoin d’une naissance, d’un décès ou d’un mariage, d’autant plus qu’il sait signer… mais ces registres sont parfois absents comme à Castillon. – les délibérations des conseils municipaux qui traitent nécessairement des questions d’instruction pour choisir un instituteur, fixer son traitement et son indemnité de logement, pour établir la liste des indigents pouvant fréquenter gratuitement l’école, etc… mais dont le déchiffrage est souvent difficile et qui ne sont disponibles que pour 8 communes sur 20. – les recensements quinquennaux de population qui contiennent des indications utiles comme la composition des ménages et la profession des personnes, mais qui ne sont disponibles pour la plupart des communes que pour les années 1896, 1906 et 1911. Alors qu’il n’existe aucune donnée pour Cazarilh, seules les communes de St Paul et Cathervielle présentent des séries assez complètes (1841, 1856, 1876 et de 1886 à 1911).
On s’aperçoit alors que parmi les 20 instituteurs, 18 sont de manière certaine des enfants du pays, 16 sont nés dans l’un des villages des deux vallées, et 2 tous proches à Luchon et Artigue. Un seul, Pierre-Louis Fourment, vient de la plaine, de Beauchalot (près de St Gaudens) mais son expatriation ne doit rien au hasard car il va épouser le 30/10/1886 Louise Lassalle, institutrice à Poubeau… et fille de l’instituteur de Gouaux. Quant à Augustin Bordes son patronyme indique une parenté locale qu’une recherche approfondie permettrait certainement d’établir.
Alors que Pierre-Louis Fourment est à 22 ans le plus jeune instituteur du secteur, il va se marier le 30/10/1886 avec Louise Lassalle, formant ainsi le troisième couple d’enseignants du secteur car il y en a déjà deux : – Anne-Marie Laurens (Trébons) et Alexis Laurens (St Aventin) – Anna Laurens (Caubous) et Jean-Bertrand Laurens (Cirès)
Cette dimension familiale existe également dans le temps : – Jean-Fulgence Arrieu (Mayrègne) a succédé à son père Jean-Bertrand Arrieu, instituteur à Mayrègne de 1836 à 1876 ; sa fille Gabrielle née en 1881 sera également institutrice (cf recensement de Mayrègne en 1906) – Jean-Marie Vidailhet (Saccourvielle) a été instituteur à Benqué puis à Saccourvielle où son père Jean-Antoine Vidailhet a enseigné de 1827 à 1857, date de son décès alors que Jean-Marie n’avait que 9 ans. Sa sœur Anne-Marie, mariée à Alexis Laurens, sera institutrice à Trébons de 1867 à 1905. Il mourra le 28/6/1890 à l’âge de 41 ans, laissant deux enfants de 5 ans et 7 ans. – Jean-Pierre Comet (Garin) a succédé en 1866 à son frère Joseph Comet, instituteur à Garin depuis 1846 puis à Cathervielle de 1867 à 1878.
Et en explorant les registres d’état civil, on trouve également la trace d’autres dynasties d’instituteurs : – Les familles Fontan de Jurvielle et Cathervielle (Jean-Antoine né le 10/3/1818 qui a été maire de Jurvielle en 1881-1884, son frère François décédé en 1848 à l’âge de 24 ans, et son fils Jean-Bernard qui s’est également marié avec une institutrice, Jeanne Remailho, mais aussi Jean-Louis né le 9/10/1817 qui a été maire de Cathervielle en 1881-1887). On notera que Jean-Antoine terminera sa carrière d’instituteur à Benqué où son affectation après avoir dépassé la limite d’âge de 60 ans n’avait pas été totalement appréciée, le conseil municipal demandant son départ dans une délibération datée du 25 mai 1879. – La famille Sapène de St Paul (Jean-Bertrand instituteur à St Paul entre 1868 et 1874, Jean-Louis instituteur à St Paul entre 1841 et 1866 dont le fils Jean-Bertrand, élève-maître de l’école normale de Toulouse est décédé le 8/8/1862 à l’âge de 21 ans). – La famille Condesse de St Aventin (Jean-Bertrand, instituteur au long cours pendant 44 ans de 1835 à 1879, puis maire de St Aventin de 1881 à 1889, avait succédé à son frère Simon, qui avait été brièvement instituteur en 1835, année de son décès, après avoir été aubergiste). Quant à la famille Laurens, une recherche plus approfondie permettrait d’établir les liens familiaux entre Alexis (Trébons), Jean-Bertrand (Cirès) et Bernard (Oô) qui font partie d’une même génération (nés entre 1840 et 1848). Les registres d’état civil de Caubous mentionnent entre 1846 et 1856 Joseph-Marie-Victor Laurens, instituteur, qui sera ensuite Maire de Caubous de 1865 à 1870, mais il exerçait sans doute à Cirès où étaient scolarisés les enfants de Caubous, tout comme Jean-Bertrand Laurens, instituteur, dont il est fait mention en 1865, âgé alors de 24 ans.
Cet ancrage local des instituteurs s’explique par de nombreux facteurs qui conduisaient nécessairement à un recrutement de proximité : – Le caractère isolé et excentré de cette zone de montagne où rien ne pouvait attirer une population extérieure pour un métier resté très longtemps fort peu rémunéré. – La nécessité de disposer d’un logement compte tenu des difficultés de communication avec ces villages où aucun véhicule, même hippomobile, ne pouvait accéder.
Ainsi, l’éclosion des instituteurs libres dans les années 1820 et 1830, rétribués par les familles, pour répondre au besoin d’instruction de la population ne pouvait être le fait que de jeunes gens vivant sur place et pouvant disposer d’un local à usage de salle d’école. Et pour la mise en place progressive des écoles communales à partir des années 1840 et 1850, les conseils municipaux qui devaient louer un local et recruter eux-mêmes les instituteurs n’avaient d’autre choix que de les prendre dans un environnement très proche pour qu’ils acceptent un poste dont les conditions d’exercice sont restées précaires jusqu’au début des années 1880.
La question du logement apparaît dès 1833 comme un élément fondamental de la mise en place de l’instruction primaire avec la loi Guizot qui garantit à l’instituteur « un local convenablement disposé tant pour lui servir d’habitation que pour recevoir les élèves. » C’est ainsi que toutes les constructions d’écoles comprendront obligatoirement un logement pour l’instituteur, situé généralement pour les petites écoles au-dessus de la salle de classe. Les Préfets veilleront tout particulièrement à ce que les instituteurs soient logés ou perçoivent une indemnité de logement. A Bourg d’Oueil, en 1897, le Sous-Préfet ayant rappelé la commune à ses obligations à ce sujet, le conseil municipal considérant qu’il ne pouvait pas y faire face « faute de trouver dans la commune un local autre que la salle d’école», avait même pris une délibération en date du 12 août 1897 demandant de « supprimer l’instituteur après la rentrée des classes du fait que l’école n’était plus fréquentée que par 3 ou 4 élèves une grande partie de l’année. » Cette obligation de loger les instituteurs perdurera jusqu’à la fin du XXème siècle. Elle constituera, tout particulièrement en milieu rural, un facteur de stabilité et de bonne intégration des instituteurs. Elle ne prendra fin qu’avec la disparition progressive des instituteurs formés dans les Ecoles normales remplacés à partir du 1er septembre 1990 par les professeurs d’école formés dans les IUFM.
2 – Des conditions morales liées aux conditions matérielles
La plupart des monographies s’efforcent de faire une description assez neutre de la situation sans laisser transparaître leur sentiment personnel, même si les critiques sur les locaux ou la fréquentation traduisent une désapprobation manifeste… Certaines expriment une réelle satisfaction, liée à la construction récente d’une maison d’école comprenant salle de classe et logement comme à Cazarilh, St Paul, Oô et Castillon. D’autres comme à Saccourvielle témoignent de leur implication dans la vie de la commune : « ce petit village qui est notre seconde patrie et dont nous sommes heureux et fiers d’instruire et d’élever la génération nouvelle. »
Cazarilh : « La situation morale de l’instituteur est assez satisfaisante, vivant au milieu d’une population honnête et laborieuse, et en relation avec un conseil municipal tout à fait dévoué au développement de l’instruction, le modeste traitement de 1000 francs suffit à peu près à ses besoins. Mais en présence du bon vouloir de l’administration municipale, en présence des efforts qui ont été faits pour que la situation devint supportable, il attend patiemment le jour où il lui sera permis d’être chez lui et d’avoir pour les enfants qui lui sont confiés une salle d’école construite dans les meilleures conditions possibles. » Oô : « La nouvelle construction pour l’école communale a été terminée en 1885 ; l’instituteur et les élèves en ont pris possession le 25 juin de la même année. Au moyen de cette construction, les besoins sont suffisamment satisfaits. » Castillon : « Le local scolaire est situé au centre de la commune sur la place publique. Il a été construit en 1883. C’est dire qu’il a été édifié d’après les nouvelles instructions ministérielles. Il est très bien approprié pour la classe et le logement du maître. Il se compose d’une belle salle de classe, de quatre chambres et d’un cabinet pour le logement du maître, d’une salle de mairie, d’une cave et d’un préau double. »
Mais il y a aussi des situations où l’instituteur fait part de son mal-être, de sa relation difficile avec un conseil municipal qui ne lui paraît pas très coopératif, comme à Bourg, à Garin, à Billière ou à Cazaux, communes où la construction d’une école n’est pas envisagée :
Bourg : « Tous mes efforts ont échoué pour la création d’une bibliothèque qui rendrait de véritables services ; je me heurte contre une mauvaise volonté systématique ; on n’a pas même voulu m’allouer une indemnité de logement. A plus forte raison ne consentira-t-on à rien faire pour l’achat de quelques livres. Le traitement de l’instituteur est de 900 fr, le loyer de la salle d’école de 100 fr, quant à l’indemnité de logement, ai-je dit plus haut, elle a été refusée ; je suis obligé de la prélever sur mon maigre budget. L’administration comprendra sans peine qu’il y a urgence à exiger la construction d’une école ; une partie des frais peut être facilement supportée par les habitants, qui sont tous dans une aisance relative. » Garin : « L’Instituteur loge chez lui et ne reçoit pas d’indemnité. La commune de Garin devrait faire tout son possible pour bâtir une maison d’école et renouveler une bonne partie du matériel scolaire qui est en mauvais état et insuffisant. Il en résulterait pour l’instruction des enfants et pour la bonne tenue de l’école des améliorations sensibles. » Billière : « L’école actuelle est laïque et mixte ; ses besoins ne sont guère satisfaits, nous avons un mobilier scolaire dans un état de délabrement complet. La commune depuis le renvoi de son dossier du ministère se perd en [conjectures] pour l’améliorer ; il serait bien à désirer qu’on le dressât en règle une bonne fois et qu’il fût approuvé car on sera toujours bien embarrassé pour trouver une salle de classe convenable. » Cazaux : « Les besoins de l’école sont satisfaits d’une manière imparfaite ; ce n’est pas que la commune soit mal disposée, mais c’est plutôt manque de fonds communaux. »
3 – Un regard positif sur les enfants et sur les vertus de l’instruction
Déjà en 1832, les conseils de Bourg et Billière délibèrent, « considérant que l’instruction rend l’homme meilleur, plus moral, plus ami du travail, plus heureux, considérant que dans l’état actuel de la Civilisation et des institutions qui régissent la France, un des besoins indispensables c’est les connaissances, c’est les lumières, que dès lors on doit extrêmement encourager l’Education… »
Un demi-siècle plus tard, alors que les progrès de l’Education restent encore modestes, plusieurs monographies évoquent les effets d’une instruction qui a permis à certains d’accéder à des emplois d’Etat, notamment dans l’armée, dans la gendarmerie ou dans la douane où ils sont tous devenus gradés (Garin)… mais il faut dire que les exemples donnés ne concernent que des garçons !
Bourg : « les filles et les garçons sont doués d’une heureuse mémoire et ont beaucoup d’intelligence ». Cirès : « la population est très intelligente, et l’enfance douée d’une mémoire heureuse, aurait naturellement beaucoup d’aptitudes ». Cazarilh : l’école doit réunir « les conditions de bien-être et d’hygiène qui prédisposent les jeunes esprits au travail sans effort, tout en développant leurs aptitudes physiques ». Trébons : « l’enseignement n’a point été négligé, les habitants ont su s’imposer à toutes les époques des sacrifices pour l’instruction de leurs enfants. » Saccourvielle : « la population a toujours eu l’instruction en haute estime ». Portet : « l’intelligence ne fait pas défaut à ces gais montagnards ».
La principale critique des instituteurs concerne la fréquentation scolaire pour laquelle les parents devraient faire un effort pour réduire le recours à une main d’œuvre sans doute nécessaire mais utilisée de manière excessive que ce soit pour les travaux des champs, la garde des troupeaux ou les tâches ménagères. A Mayrègne, il est même précisé que ce sont de très jeunes enfants qui montent les chevaux transportant le foin et la moisson afin d’alléger leur charge !
Ainsi à Poubeau et Gouaux, il est dit que « les parents devraient se gêner un peu plus, et la commission scolaire qui ne s’est jamais réunie pourrait s’en occuper et remédier à ces mailles rompues de l’enseignement qui plongent la jeunesse dans le dégoût de l’étude et dans l’ignorance ». La formule peut paraître étrange, mais elle apparaît dans plusieurs monographies et renvoie sans doute à un usage de l’époque où l’expression « se gêner » était utilisée au sens de « s’imposer des contraintes ».
4 – Les instituteurs, gardiens des traditions
Même
s’il ne peut pas être considéré comme totalement objectif, au sein d’une
population dont ils font partie, le regard que portent les instituteurs sur la
société apporte des informations intéressantes sur la vie des habitants et sur
les transformations qui sont en cours en cette fin du 19ème siècle. On
y découvre deux vallées de montagne dont les villages s’échelonnent entre 800 m
et 1300 m, qui présentent les traits
communs d’une activité exclusivement agro-pastorale, mais dont les modes de vie
n’évoluent pas au même rythme.
4-1 La vallée d’Oueil : des Nobles Bâtards de Bourg aux Nomades de Trébons
Tous les témoignages concordent pour décrire le sens quasi légendaire de l’hospitalité, la politesse, le désir d’être utile aux autres et une forme de générosité qui concerne également la solidarité envers les plus démunis. Chacun vit dans une certaine aisance due aux ressources de ses cultures et de ses troupeaux, mais aussi à une polyvalence qui lui permet de satisfaire à tous ses besoins. L’esprit de coopération est tel que « ce serait à croire que toutes les familles n’en font qu’une » comme le dit l’institutrice de Caubous.
Même si la complémentarité est affirmée entre le travail des hommes et celui des femmes, il s’agit bien d’une société « patriarcale » fondée sur le respect du chef de famille, et les réactions suscitées par la naissance d’une fille à Bourg d’Oueil ne laissent aucun doute à ce sujet. Les effets de la proximité de Luchon semblent avoir atteint seulement Trébons et sa population « nomade » ainsi que Saccourvielle où l’instituteur dénonce les femmes « qui se laissent emporter par l’amour si contagieux du luxe ». Il faut dire que la création de la Route Thermale ouverte en 1846 ne s’est pas encore accompagnée des liaisons permettant de faciliter l’accès à tous les villages de la vallée d’Oueil. L’isolement reste donc très présent dans les esprits et conduit à la permanence de pratiques largement autonomes dans tous les domaines y compris celui du textile où la laine, le chanvre et le lin, filés et tissés sur place, restent la base de l’habillement. La cohésion sociale qui semble régner dans les villages ne parvient pas toutefois à freiner l’exode vers la ville : en un demi-siècle, entre 1831 et 1881, la vallée d’Oueil aura perdu 382 habitants soit 26% de sa population.
Bourg d’Oueil : « Le trait distinctif des habitants, c’est leur fierté excessive ; ils ont du reste des manières nobles et pleines de grandeur qu’on ne retrouve guère dans les villes les plus civilisées. Aussi regardent-ils avec quelque dédain ceux qui sont originaires des autres communes. Ceux-ci s’en vengent en les désignant sous le qualificatif insultant et immérité de « Nobles Bâtards de Bourg ». L’autorité de l’homme est respectée par les mères, par les sœurs et par les épouses ; aussi salue-t-on avec joie dans les familles la naissance des garçons. Quand une femme est sur le point d’accoucher, les jeunes gens sont sur le qui-vive ; si c’est un garçon qui naît, ils annoncent l’heureuse nouvelle par des décharges de fusils ; si c’est une fille, ils retournent en silence dans leurs demeures, prennent une quenouille et vont tristement la suspendre sur la porte du père infortuné. On place son point d’honneur à offrir une hospitalité large, généreuse et quasi seigneuriale ; dans les fêtes, on y accourt de toute la vallée d’Oueil, du Larboust et du bas Luchon ; ces réunions sont animées et rendues charmantes par l’entrain qu’on y déploie. Serviables les uns pour les autres, d’une politesse exquise, ils ne se refusent ni les chevaux ni les vaches dont on a besoin pour les voyages et les travaux, et sont toujours heureux d’être utiles aux autres. On n’y connaît pas d’artisan ; chacun élève les murs de ses maisons et de ses écuries, fait les charpentes, couvre les toits, fabrique ses chaises, ferre ses chevaux. Industrieux et économe, l’homme tire parti de tout et la femme l’aide toujours dans l’intérieur de la demeure, aux champs et dans les prairies. »
Cirès : « Les mœurs sont douces et pacifiques ; on vante l’hospitalité reçue chez tous les Arabes, mais je doute qu’elle dépasse celle qu’on accorde à l’étranger dans nos montagnes. Les pauvres qui, après les récoltes, viennent mendier des grains, des pommes de terre ou de la laine sont eux-mêmes accueillis avec empressement dans les familles ; ils ont leur place au foyer, à la table et sont hébergés pendant la nuit. Quoique la politique et les intérêts les divisent parfois, on trouve les habitants toujours serviables entre eux ; un ennemi vient-il frapper à leur porte ? Toute rancune est mise de côté et on lui prête sans rétribution ce dont il a besoin pour ses travaux ou ses voyages, soit les chevaux, soit les vaches. Il y a peu d’endroits où l’homme soit plus industrieux : il est tour à tour maçon, charpentier, maréchal-ferrant, agriculteur, il fabrique les chaises et les autres objets nécessaires dans la maison. Il serait difficile aux artisans de mieux faire que lui chaque chose. On se nourrit en général simplement mais substantiellement parce que tout le monde sans exception est dans une aisance relative. »
Caubous : « On ne saurait trop louer les mœurs patriarcales des habitants, le respect du chef de la famille, l’hospitalité bienveillante offerte aux étrangers, l’union qui règne entre tous et cette envie constante de se rendre service toutes les fois où on le peut. Les travaux des champs sont communs aux hommes et aux femmes ; les soins des bestiaux sont presque exclusivement réservés à l’homme. Celui-ci n’a pas besoin de recourir aux différents ouvriers ; lui-même fait les chaises, construit les maisons, fait les réparations nécessaires, et se fait aider au besoin par ses amis ou voisins. Ce serait à croire que toutes les familles n’en font qu’une. »
Saccourvielle : « Longtemps la population ne connut d’autre costume et ne porta d’autres habits que ceux fabriqués dans le pays. Les hommes étaient en hiver vêtus de bure qu’ils remplaçaient en été par quelques habits d’étoffe légère achetés à Luchon. Les femmes ne dédaignaient pas les robes de laine et les chemises de chanvre et de lin tissées par quelques tisserands de village. De nos jours elles se laissent plus ou moins emporter par l’amour si contagieux du luxe. Les robes de laine, le châle traditionnel de laine en hiver et l’indienne en été, la chaussure rustique, disparaissent devant les casaques de drap, les robes de mérinos, les belles bottines. Les jeunes filles ne veulent plus de la coiffe légendaire ; elles lui préfèrent le bonnet monté en rubans et en fleurs. Leurs doigts déshabitués à tenir le fuseau s’exercent à quelques vulgaires broderies. Les vieillards déplorent cette invasion du luxe moderne et regrettent cette simplicité des temps passés où l’on se contentait de peu, ayant des habits moins éclatants mais des habits plus solides et plus chauds et surtout quelques pièces en plus dans son gousset. »
Trébons : « Les habitants grâce à la température douce dont on y jouit malgré l’altitude de 800 mètres, et à la saine et abondante nourriture qu’ils se procurent, ont une santé robuste et florissante ; ils sont d’un caractère gai et ouvert, un peu Nomades. La proximité de Bagnères-de-Luchon, l’habitude de vivre dans les granges foraines, les entraînent loin du village. Les dimanches et jours de fêtes les maisons sont à peu près désertes, aussi bien que dans la semaine, ils vivent à leurs travaux et à leurs plaisirs. C’est une confiance aveugle dans la Providence ; non contents d’abandonner les maisons, ils laissent encore les portes ouvertes, et pourtant jamais de vols dans ce village où la probité est en honneur. Peut-être n’est-il pas inutile d’ajouter que chacun vit sur ses terres et jouit d’une certaine aisance. »
4-2 La vallée de Larboust : entre attachement au pays et vie de Bohème
La vallée de Larboust, traversée par la Route Thermale, apparaît plus ouverte. On y trouve un village plus dynamique, celui de St Aventin qui a été siège d’une perception et possède encore une étude de notaire mais aussi 5 débits de boissons où l’on « mène la vie de Bohème ». On y trouve également un site que vient admirer « l’Europe entière », celui des lacs de Seculejo (Oô) et d’Espingo, avec deux auberges communales mises en gérance pour accueillir les touristes. Enfin la superficie est beaucoup plus importante avec trois communes (Cazaux, Castillon et St Aventin) dont les territoires s’étendent jusqu’à la vallée du Lys et ses vastes zones de pâturages qui sont parfois l’objet de conflits entre villages comme celui entre Trébons et St Aventin dont le jugement de 1853 est reproduit dans la monographie de Trébons. Dans les villages de Portet, de Cathervielle et de Cazaux, l’harmonie semble prévaloir avec des enfants de cultivateurs qui restent attachés à leur pays malgré de maigres revenus ou qui développent des formes de coopération adaptée à leur situation, montrant que « l’union fait la force ».
Mais dans la plupart des autres villages, il est dit que les mœurs se sont relâchées car « Luchon envoie des reflets trop licencieux dont la jeunesse ne profite que trop ». Ainsi à Jurvielle et à Castillon, où « les mœurs se sont assouplies mais ont gagné en duplicité ». Ainsi à Oô, où les « bonnes mœurs » se sont conservées, mais où les habitants sont décrits comme « dissimulés et vindicatifs ».
Le sens de l’hospitalité semble s’être estompé. L’instituteur de Jurvielle l’attribue au déclin d’un patriarcat qui établissait des liens très forts dans les structures familiales. Il est sans doute dû aussi à une évolution des relations humaines où les échanges s’inscrivent de plus en plus dans une dimension commerciale avec le développement du tourisme et l’attrait grandissant pour les tentations d’une société de consommation dont Luchon est une vitrine si proche.
L’exode vers la ville est là aussi engagé avec la perspective d’une vie plus agréable et de salaires plus élevés, mais aussi « grâce aux progrès de l’instruction qui permet aux jeunes gens après leur service militaire d’accéder à des emplois du gouvernement » (là encore, seuls les garçons sont concernés… rien n’est dit sur les filles !) Mais en un demi-siècle, entre 1831 et 1881, la vallée de Larboust n’aura perdu que 304 habitants soit 13% seulement de sa population, signe d’une émigration contenue, même si on ne peut pas la qualifier d’inconnue comme le fait l’instituteur de Castillon qui est aussi secrétaire de mairie et qui connaît donc bien la situation. Dans le même temps, Bagnères de Luchon est passée de de 2077 à 4256 habitants, développement spectaculaire lié à la vogue des eaux thermales et aux débuts du pyrénéisme qui ont attiré de nombreux visiteurs célèbres, avec en point d’orgue l’arrivée du train en 1873 et la construction du casino en 1880.
Portet : « Dans le recensement de 1886 la commune compte 128 habitants, 28 maisons et 28 ménages. Malgré les maigres revenus donnés par leur terre, les fils des cultivateurs sont très attachés à leur pays, à cette terre qui à force de travail et de fumier leur fournit tout ce qu’il leur faut pour eux, leurs familles et leurs troupeaux ; il y en a bien peu qui émigrent pour les villes et les emplois ; aussi les nombreuses familles amèneront sans doute un certain accroissement dans le chiffre de la population. »
Jurvielle : « Les mœurs ne sont plus aujourd’hui ce qu’elles étaient anciennement ; elles se sont assouplies mais ce qu’elles ont perdu en souplesse, elles l’ont gagné en duplicité. L’antique patriarcat s’est perdu, entraînant avec lui dans l’oubli les liens jadis si tenus de la famille et le respect de l’hospitalité. Les anciens usages achèvent de disparaître et un luxe relatif s’est introduit insensiblement dans le pays. Le langage lui-même a beaucoup perdu de son ancienne pureté. On parle dans le canton deux dialectes très distincts : le dialecte qui termine en o le singulier des noms et les adjectifs féminins et celui qui a conservé dans ses terminaisons le a roman. Au premier appartient le patois de Luchon, au second des vallées d’Oueil et de Larboust. »
Poubeau : « Les mœurs tendent beaucoup à se relâcher dans la commune de Poubeau comme dans toutes les communes avoisinantes ; ce n’est plus la superstition qui règne dans l’endroit. Le culte est entièrement catholique. L’habit ordinaire c’est-à-dire de tous les jours est encore le burel du pays, drap fait avec la laine des moutons noirs. Pour les jours de fête, et pour les voyages, un luxe relatif à celui de Luchon s’est furtivement introduit dans nos vallées. »
Cathervielle : « Pour ce qui est des troupeaux qui sont uniquement composés de moutons et de brebis, à peu près chaque propriétaire a son petit troupeau. Les plus aisés en élèvent davantage et avec le nombre que chacun peut fournir ils se réunissent ordinairement à quatre pour participer pour le quart des recettes et des dépenses. Les pauvres se réunissent en plus grand nombre. Ils mettent ainsi en pratique la vérité proverbiale contenue dans l’adage : « L’Union fait la force ».
Oô : « Les bonnes mœurs proprement dites se sont conservées, sauf quelques rares exceptions, dans leur ancienne pureté ; mais dans leurs rapports journaliers, les habitants de ce village sont dissimulés et vindicatifs, quelque peu jaloux de la prospérité de leurs voisins ; flatteurs et rampants tant qu’ils sont dans la nécessité ils deviennent arrogants et hautains aussitôt qu’ils ont obtenu ce qu’ils convoitaient. »
Billiere : « Le chiffre de la population tend à diminuer parce qu’en général tout le monde dédaigne les travaux des champs ou les trouve trop rudes et la vie y est trop pénible. Les jeunes personnes sont attirées vers Luchon où elles trouvent beaucoup d’agréments et des salaires plus élevés. Pour les jeunes gens, l’instruction se développant de plus en plus, après leur service militaire accompli ils prennent des emplois du gouvernement, la gendarmerie compte plusieurs membres de la commune. Les mœurs ont beaucoup perdu de leur ancienne pureté, on ne voit plus dans la commune le même respect, la même candeur. Luchon nous envoie des reflets trop licencieux dont notre jeunesse ne profite que trop. »
Cazaux : « Les mœurs sont douces dans la commune. Chaque propriétaire s’occupe de son petit domaine, soit de ses animaux, soit de ses propriétés ; en un mot, il prend soin de ce qui lui fournit pour lui et sa famille le pain de chaque jour. »
Castillon : « L’habitant de Castillon-Larboust, comme celui de la vallée, aime la terre, la sienne, qui lui fournit à peu près tout ce qu’il lui faut pour lui, sa famille et ses troupeaux. Il la soigne, il la pare en terrasses superposées, le moindre recoin est utilisé, cultivé, rendu fécond. Malgré le peu de surface apparente du sol arable, l’émigration est pour ainsi dire inconnue. Jusqu’à ces derniers temps en effet, si l’exportation ne comprenait que des bestiaux, l’importation plus réduite encore se bornait aux articles de métallurgie et aux menus objets de parure féminine. D’ailleurs le numéraire étant rare dans le pays, la majeure partie des transactions s’opéraient par voie d’échange. On se nourrissait de la chair et du lait des troupeaux, du produit des moissons et des fruits de quelques arbres à demi-sauvages. On se vêtissait de la laine, du chanvre et du lin récoltés dans le pays. Les nombreuses essences d’arbres qui peuplent les forêts fournissaient une variété de bois propres à tous les usages : aussi on ne voyait que meubles en bois, instruments en bois, vaisselle en bois, joujoux en bois. Des changements notables quoique récents se sont produits dans ce régime économique ; un luxe relatif s’est introduit furtivement. Les mœurs se sont assouplies mais ce qu’elles ont perdu en rudesse, je crains bien qu’elles l’aient regagné en duplicité. »
St Aventin : « Les hommes portent le traditionnel béret montagnard, des habits de bure, des sabots en hiver et des vêtements d’étoffe légère avec des sandales en été. Les femmes abandonnent de jour en jour la coiffe blanche, la robe d’étoffe légère qui jadis constituaient le costume du pays ; elles se laissent de plus en plus gagner par cet amour du luxe dont Luchon, qui est le rendez-vous du beau monde, leur donne l’exemple ; elles se passionnent pour les modes nouvelles. De nos jours, on ne se contente plus pour boisson de l’eau douce et légèrement sulfureuse que leur fournit la principale source qui est au centre du village, ni de l’eau fraîche et pure que l’on retrouve sur toutes les montagnes ; le vin tend à devenir d’un usage quotidien surtout à l’époque des grands travaux. La commune ne compte pas moins de cinq débits de boissons : vin, café, bière, liqueur, etc, etc…qui, le dimanche au soir, ne sont que trop fréquentés, et où l’on mène la vie de Bohème ; elle compte aussi deux épiciers et un marchand de rouennerie. Dès que le mauvais temps est venu et qu’il a rendu le séjour à la montagne impossible, un membre de la famille va établir son quartier d’hiver dans les granges foraines du Val du Lys et surtout de Gourron. On consacre la journée au soin du bétail renfermé dans ces immenses écuries, et à la confection de quelques instruments aratoires grossiers, puis le soir on se réunit en commun dans une de ces granges. La gaieté et l’entrain ne font pas défaut durant ces longues veillées d’hiver qui se terminent parfois par une partie de crêpes, véritable régal des habitants du pays. Aussi le séjour dans ces granges foraines est-il, pour la jeunesse, plein d’attrait. »
Loin de porter un regard critique sur un modèle de société qui peut
paraître dépassé en pleine période de révolution industrielle, les instituteurs
y voient plutôt un élément de stabilité dans une société qu’ils pourraient
vouloir changer grâce à l’instruction mais dont ils apparaissent de fait comme
les gardiens, soucieux de maintenir des équilibres majeurs fondés sur la
famille, sur la prédominance masculine, sur le travail de tous (hommes, femmes
et enfants) mais aussi sur des valeurs morales essentielles telles que
l’hospitalité, la solidarité et la coopération.
Le
seul domaine que toutes les monographies s’accordent à dénoncer comme archaïque
concerne les techniques de culture qui sont qualifiées de « routine »
autant pour l’usage d’instruments aratoires ancestraux (soc, charrue, faucille)
que pour le peu de mécanisation (en particulier pour le battage). Toutefois ces
critiques ne semblent pas toujours vraiment justifiées car les descriptions
montrent souvent des procédés de culture certes artisanaux mais parfaitement
adaptés aux contraintes de terrains montagneux avec un soin particulier apporté
aux prairies qui fournissent un fourrage abondant grâce aux canaux d’irrigation
et au transport du fumier produit par les animaux.
Illustration de ces contradictions, l’instituteur de Garin, après avoir moqué le « paysan qui ne veut pas se départir de l’ornière qu’ont suivie ses aieux » nous livre avec une précision étonnante et une certaine poésie un regard admiratif sur les traditions agricoles : « Pour ce qui est des procédés de culture, chaque saison amène sa culture et d’ailleurs le cultivateur n’a qu’à pratiquer et continuer à faire ce qu’il a vu faire par ses parents. Vient l’automne, il sait qu’il faut préparer la terre et ensemencer le blé et c’est ce qu’il fait. Vient l’hiver, saison morte, il s’occupe du soin des bestiaux et de l’arrosage des prairies, ne négligeant rien pour bien départir l’eau dans les diverses parties de sa propriété, et pour cela faisant des rigoles et des fossés en nombre. L’habitant de Garin apporte même une certaine adresse et vigilance à donner l’eau à propos aux propriétés et à la retirer quand il le faut. Sitôt que le temps devient un peu plus clément, ordinairement en mars, il va revoir son blé et lui donner de la vie au moyen d’un petit instrument en forme de racloir. Dans ce travail, il fait en sorte de ne pas trop déraciner la petite tige encore bien frêle et bien délicate. Même pour ce travail il fait attention si les gelées ne sont trop fortes. La question du blé réglée, il pense immédiatement à préparer la terre qui doit quelque temps après recevoir les semences du maïs, pomme de terre, blé noir ou sarrasin. Il la tourne avec le plus grand soin et la plus grande fatigue. Pour que la terre s’engraisse davantage, il a la précaution d’y envelopper le fumier qui lui communique sa substance la première fois qu’il la tourne et avant de lui confier la semence. Une fois que la semence a germé et que la tige est hors de terre, elle nécessite un nouveau travail et l’habitant de Garin n’y manque pas. Il fait à l’endroit du maïs et des pommes de terre ce qu’il a fait pour le blé. Quant au sarrasin, il l’abandonne à lui-même et peut se passer de ce dernier travail. Pendant ce temps le blé a poussé et le voilà au moment de monter en épi. C’est le moment de le dégager de toute autre mauvaise plante qui pourrait nuire soit à la floraison, soit à la maturité, soit même à la qualité et à la quantité de la récolte. Aussi des essaims de femmes s’engagent à travers ces champs et d’une main adroite arrachent toutes ces plantes parasites qui ne peuvent que nuire à la plante utile et nécessaire. Ces mauvaises herbes arrachées, il n’a qu’à attendre le moment où il devra se servir de la faucille. Pour ce qui est du maïs et de la pomme de terre, lorsqu’ils ont acquis une certaine hauteur, l’habitant de Garin ne néglige pas avec sa bèche de garnir la tige de terre et de lui donner ainsi toute la force possible, et cette opération suffit. »
Par ailleurs, l’instituteur de Cathervielle note que « la routine tend à être démodée par le fils de M. Comet, instituteur en retraite, ancien élève de la Ferme-Ecole de la Rivière (Gers) ». Il s’agit de Pierre Comet né le 4/1/1862 à Cathervielle, fils de Joseph Comet qui a été instituteur à Garin de 1846 à 1866, auquel a succédé son frère Jean-Pierre Comet. Il existait au 19ème siècle un réseau de fermes-écoles dont celle de Larivière sur la commune de St Martin de Goyne dans le Gers, créée par un arrêté ministériel du 10 juillet 1878 et dont le fonctionnement s’inscrivait dans la loi du 30 juillet 1875 sur l’enseignement élémentaire pratique de l’agriculture. Comme les écoles pratiques d’agriculture, les fermes-écoles sont « ouvertes aux fils de cette classe nombreuse, vaillante et laborieuse des travailleurs de la terre, elles prennent les enfants au sortir de l’école primaire, les entretiennent à un prix de pension inférieur à celui des plus petits collèges et les rendent aux familles lorsque leurs bras sont assez forts, leur intelligence et leur instruction assez développées pour qu’ils puissent aider utilement aux travaux de la culture. » (Extrait de la circulaire du 15 août 1887 adressée aux préfets par le ministre de l’Agriculture). Il devait être assez peu fréquent qu’un enfant de ces vallées de montagne aille ainsi suivre une formation agricole dans une école située à plus de 150 km de son village. Le fait qu’il soit d’une famille d’instituteurs (son père et son oncle) n’y était sans doute pas pour rien à une époque où la formation des instituteurs dans les écoles normales comprenait aussi des cours assurés par des professeurs départementaux d’agriculture… C’était aussi un enjeu important pour le gouvernement qui en 1885 rappelait à ses préfets que « l’agriculture est assurément la base fondamentale de la prospérité de la France » et qu’il compte sur « l’initiative, l’esprit d’entreprise et de perfectionnement des agriculteurs pour améliorer leur situation face aux grands changements apportés dans le commerce de l’univers par suite de la facilité des voies de communication, de la rapidité des échanges et des relations. »
Quant aux questions relatives à la démocratie locale, elles sont rarement évoquées dans les monographies, à l’exception notable de deux cas où les maires sont désignés sous le qualificatif peu flatteur de « petit seigneur de l’endroit » :
Bourg d’Oueil : « Le maire actuel est Monsieur Bertrand Jourdan. L’influence du maire est immense ; on ne connaît guère d’autre autorité et on peut le considérer comme le petit seigneur de l’endroit ; il parle et tout le monde plie devant ses ordres. » Nota : Bertrand Jourdan a été maire de Bourg d’Oueil de 1876 à 1888.
Cirès : « Le maire actuel est M. Gerdessus. … Ce magistrat est une vraie puissance aux yeux des habitants. Il parle et ses ordres sont aussitôt exécutés. Regarde-t-il quelque travail comme d’utilité publique ? Sans consulter même le conseil municipal il fait sonner la cloche de l’église et appelle les hommes à la corvée ; personne ne murmure et tout le monde se rend, tant on est habitué à lui obéir et à le regarder comme le père de tous. L’influence de l’adjoint et ses conseillers est à peu près nulle auprès de la sienne. Il est en quelque sorte le petit seigneur de l’endroit et cela explique l’animosité qui règne dans les élections municipales. » Nota : François Gerdessus a été maire de Cirès de 1876 à 1881 puis de 1886 à 1891.
Peu visibles dans le paysage des vallées d’Oueil et de Larboust, comme tous les moulins à roue horizontale, les moulins n’apparaissent guère non plus dans les problématiques traitées par les conseils municipaux au cours du 19ème siècle, sans doute car il s’agissait le plus souvent d’équipements privés. Évoqués très succinctement dans les monographies communales de 1885-1886, c’est surtout sur les documents cadastraux qu’on retrouve la trace de leur présence. Les moulins dans les hautes vallées pyrénéennes étaient pourtant au cœur de la vie des habitants pour au moins deux raisons : 1 – Les moulins à farine car le pain constituant la base de l’alimentation était produit sur place avec les farines des céréales qu’ils cultivaient ; 2 – Les moulins à scierie car une partie du bois des forêts était transformée sur place pour les usages locaux de construction des maisons et du mobilier.
Avant 1789 : les cadastres et livres terriers
Ce sont les documents les plus anciens sur le site des archives numérisées de la Haute-Garonne qui pourraient contenir des informations sur les moulins des vallées d’Oueil et de Larboust. Ils dressent la liste de tous les propriétaires avec la nature et la localisation de leurs biens : maison, borde, grange, bâtiment rural, cour, jardin, champ, pré, terre, etc. Les seuls facilement déchiffrables sont ceux des communes de Saccourvielle et Cazaux : 1 – Cadastre de Sercouielle de 1667 – Par Jean-Jacques Goujon, arpenteur de St Béat 2 – Livre terrier de la communauté de Sacourviélle en la vallée d’Oœilh en 1765 – Par Jean Bostian, arpenteur de Loudenvielle 3 – Cadastre de Cazaux de 1728 – Par Louis Gabriel Dupuy, arpenteur de Marignac 4 – Etat de section des propriétés bâties et non baties de Cazaux (non daté). Hélas, sur ces documents, aucune référence à un quelconque moulin !
1789 : les moulins sur la carte de Cassini
Les moulins qui constituent la principale trace des activités humaines sur la carte de Cassini sont particulièrement nombreux dans les deux vallées où la pente des cours d’eau permettait d’enchaîner plusieurs moulins sur de courtes distances. Ils sont identifiés par un symbole en forme de roue dentée et notés ici d’un point jaune sur la carte pour plus de lisibilité. – 27 moulins en vallée d’Oueil : Bourg (2), Cirès-Caubous (7), Mayrègne (5), St Paul (6), Sacourvielle (5 dont 4 curieusement situés au cœur du village), Trébons (2 apparemment mal placés sur la carte) – 41 moulins en vallée de Larboust : Jurevielle (2), Portet (2), Garen (8), Gouaux (8), Oo (8), Castillon (7), St Aventin (5)
Outre l’orthographe particulière de certains noms (Garen, Montajou, Pobiau) on notera en cette veille de Révolution la noble appellation de « Cazaril de las Pennes ».
La carte de Cassini ou carte de l’Académie des Sciences est la première carte topographique et géométrique établie à l’échelle du royaume de France dans son ensemble. Quatre générations de Cassini se sont succédé pour réaliser ce travail initié sous Louis XIV par Colbert en 1668 et dont la phase finale de relevés a pris plus de 50 ans entre 1733 et 1789. Les levés de la feuille n°76 « Bagnères de Luchon – Barèges – Bagnères de Bigorre » ont été effectués entre 1772 et 1778.
1809 : l’enquête du Bureau des Subsistances
Sur instructions
du Bureau des Subsistances du Ministère de l’Intérieur, un état complet des
moulins à farine est établi en 1809, par canton, avec un récapitulatif départemental.
Cet état précise notamment le type (à eau, à
vent), le nombre de » tournans « , c’est-à-dire de paires de meules,
l’origine des meules, le type de mouture (à la lyonnaise, à la parisienne ou
économique).
Enquête consultable aux Archives nationales
Annexe n°2 et F20 296.
Les éléments accessibles sur internet à propos de cette enquête ne sont pas tous concordants… ni faciles à exploiter. Selon un tableau qui figure dans un article de Claude Rivals paru dans La Revue géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest (1984), il y avait en 1809 en France 48 906 moulins à roue verticale, 33 810 moulins à roue horizontale et 15 357 moulins à vent. Cette étude met surtout en évidence une très forte disparité entre le nord et le sud concernant les moulins à eau : au sud, pays de langue d’oc, dominent les moulins à roue horizontale (81%) alors qu’ils sont très peu présents au nord (11%). Pour les huit départements des Pyrénées et du piémont pyrénéen, le taux monte même à 91% de moulins à roue horizontale malgré l’exception des Hautes Pyrénées (55%).
Roue horizontale ou roue verticale Il paraît logique de penser que la roue horizontale, qui est restée en usage jusqu’à l’époque contemporaine dans certaines régions et dont le mécanisme est le plus simple, – la meule mobile étant montée directement sur l’axe de la roue à pales – a été la première employée. Et pourtant, toutes les images médiévales de moulin à eau ne montrent que des roues verticales alors que les plus anciens témoignages certains de roues horizontales ne datent que du 16ème siècle. La séparation entre moulins à roues verticales et horizontales semble trouver ses sources dans les différences de féodalisation entre le Nord et le Sud de la France dès la chute de l’Empire romain. Au nord, les défrichements, les travaux de canalisation des rivières et toute une politique d’exploitation de l’espace ont favorisé l’implantation de moulins collectifs d’une puissance plus importante que les « rouets » méridionaux, adaptés par leur technique à une production plus familiale.
Il est probable que la plupart des moulins sur les petites rivières des vallées pyrénéennes ont ainsi été construits dès le moyen-âge avec un mécanisme constitué de pièces en bois, autant pour la roue elle-même que pour l’arbre de transmission.
A gauche, la roue du moulin de St Paul (diamètre 90 cm avec 12 pales incurvées de 18 cm de haut) d’apparence relativement rustique et dont l’arbre de transmission est une pièce de bois de 15 cm x 15 cm.
Avec l’amélioration de la maîtrise des forgerons, on peut penser que la roue et l’arbre ont pu être réalisés au 19ème siècle en métal, d’autant plus qu’il existait dans la région des forgerons particulièrement habiles, comme la famille Mengarduque de Saccourvielle qui fabriqua de nombreuses horloges d’édifices entre 1876 et 1914.
A droite, la roue du moulin de Trébons (diamètre 86 cm avec 24 pales incurvées de 21 cm de haut) est l’exemple d’une parfaite maîtrise du travail du forgeron.
1837 : les moulins sur le cadastre napoléonien
Une loi du 15 septembre 1807, complétée par un règlement impérial du 27 janvier 1808 met en place le cadastre napoléonien. Sa confection a débuté dès 1808 pour s’achever vers 1850. La feuille de Trébons est datée de 1837. On y découvre, dans le quartier de « la Gleyso », en bordure de la « Rivière de Laune », la présence de deux moulins à Trébons : le « Moulin de dessus » qui a aujourd’hui disparu, dans l’angle nord-ouest de la commune, et le « Moulin de daouat » qui correspond au moulin actuel.
En venant de Bagnères de Luchon, on traversait le « Ruisseau de Larboust » au « Pont det Miech ». Pour se rendre à Trébons, on montait directement par le « chemin d’Artigue » et on passait par la « Borde de la Gleyso » juste en-dessous de l’église… Pour aller vers la vallée d’Oueil ou la vallée de Larboust, il fallait traverser la « Rivière de Laune » au « Pont de Dessus »… sinon, en suivant le « Chemin du Moulin », on arrivait au « Moulin de daouat » et on montait alors vers le village par le « Chemin du Moulin de dessus » qui est devenu la route départementale 51A. On notera le « Chemin d’Artigue-Bajard », actuel chemin de la source ferrugineuse, qui conduisait à des granges situées au bord de « Laune » sur la commune de Sacourvielle.
Le Moulin de daouat ou « moulin du bas » Pour comprendre la signification de l’appellation « daouat », il suffit de porter un regard sur les autres toponymes de la région. On y voit que le terme « debat » apparaît pour indiquer des lieux qui sont « en dessous » ou « en bas ». Ainsi sur la carte de Cassini, en vallée d’Oueil, le village de Benqué apparaît avec ses deux déclinaisons « dessus » et « de Bat » correspondant aujourd’hui à Benqué-dessus et Benqué-dessous. De même sur le cadastre de Trébons on voit dès 1837 des lieux appelés Debat Cado et Hount Debat correspondant aux parties basses de la commune. Il y avait peut-être une nuance avec les formes « daouat » ou « daouach », mais à Trébons comme à Saccourvielle, il s’agit bien du moulin du bas par rapport au moulin du haut, lequel est désigné dans les deux cas par « moulin de dessus ». D’ailleurs à Trébons, le pont le plus bas qui était appelé « Pont de Daouat » sur le cadastre de 1837 est devenu « Pont de Debat » sur le cadastre de 1933, puis « Pont de Debach » sur la carte IGN de 1950 et encore actuellement, signe de l’équivalence de ces termes. Quant à celui qui était nommé « Pont de Dessus » en 1837, il a dû être logiquement débaptisé avec la création d’un nouveau pont en amont lors de l’ouverture de la route thermale en 1842 ! Nota : le pont du milieu, appelé en 1837 « Pont det Miech », devenu en 1933 « Pont de Niech » est maintenant nommé « Pont de Miey » .
Les autres moulinsd’Oueil et de Larboust Par rapport à la carte de Cassini, il semblerait que le nombre de moulins ait diminué mais il est difficile de comparer car la définition de la carte de 1789 est bien moindre que le cadastre de 1837 où l’on peut localiser avec une grande précision 20 moulins en vallée d’Oueil et 29 dans le Larboust.
A Bourg, trois moulins sur la Rivière de la Neste (moulin de la Mole, moulin du Pont, moulin de Moco Poqua) A Cirès, quatre moulins dont un « moulin à scie » A Caubous, deux moulins sur la Rivière de la Neste A Mayrègne, deux moulins sur la Rivière de la Neste A St Paul, trois moulins dont celui qui existe encore près du hameau de Maylin A Benqué, un moulin sur le Ruisseau de la vallée d’Oueil ou Rivière de l’One A Saccourvielle, il n’y a plus de moulins au cœur du village, mais trois au bord de la Rivière de Laune : le Moulin de Dessus, le Moulin de Lasjoux, le Moulin de Daouach, situés tous les trois sur le même canal de dérivation. A Trébons, deux moulins en bordure de la Rivière de Laune, le Moulin de dessus et le Moulin de daouat
A Gouaux, trois moulins sur le Ruisseau de Gouaux A Oô, quatre moulins sur la Rivière de la Neste à partir d’une même prise d’eau se divisant en quatre canaux, sur la zone où sont maintenant les courts de tennis. A Jurvielle, trois moulins sur le ruisseau de Labach ou de Samondère (moulin de Lias, moulin du Pont, moulin d’Arbouch) A Portet, trois moulins sur le ruisseau de Labach ou de Samondère (aujourd’hui Ruisseau du Portet) A Poubeau, deux moulins sur le Ruisseau de Portet A Cathervielle, deux moulins en série sur un même canal de dérivation A Garin, six moulins sur le Ruisseau de Portet, dont trois en série sur un même canal de dérivation A Cazaux, un moulin A Castillon, deux moulins sur le « Ruisseau de L’arboust » A St Aventin, trois ou quatre moulins regroupés sur deux sites dont celui qui a été récemment restauré à côté de la prise d’eau de la centrale hydroélectrique, près du Pont du Moulin, sur la route des granges de Gourron.
1885-1886 : les moulins dans les monographies communales
Les monographies communales ont été rédigées entre 1885 et 1886 par les directeurs des écoles primaires du département, sous l’impulsion du Conseil départemental de l’instruction publique. Elles sont consultables sur le site des Archives départementales de la Haute-Garonne. La plupart évoquent les moulins (sauf celle de Oô) et donnent parfois une information sur leur statut : – Propriété de particuliers comme à Jurvielle, Cathervielle et Garin, ou encore à St Aventin où les moulins figurent dans la liste des artisans de la commune, ce qui semble indiquer qu’il s’agit d’un meunier « professionnel » (confirmé par le témoignage de J. Mure de Cazaril). – Propriété en commun sous forme d’indivision comme à Bourg, Caubous, Cirès, St Paul, Cathervielle et Castillon, chacun participant aux dépenses d’entretien – Propriété communale dans un seul cas, à Portet, où il est précisé que c’est la commune qui entretient les deux moulins.
A Cathervielle, l’état de sections de 1838 mentionne 3 moulins : – deux en indivision (parcelles 268 et 272) sur le ruisseau de Portet associant chacun 9 propriétaires possédant 1/12 ou 2/12, – un appartenant à un particulier (Jean-Bertrand Fontan) dont la parcelle 568 se trouve sur le ruisseau de Cathervielle en amont du hameau de Malet.
On peut penser qu’à Trébons, le « Moulin de daouat » était déjà communal et utilisé aussi par les habitants de Cazaril, bien qu’il n’existe à son sujet aucune mention de dépense d’entretien dans le registre des délibérations du conseil municipal au 19ème siècle. Quant au « Moulin de dessus » dont il ne reste aucune trace, il était construit sur un terrain appartenant aujourd’hui à un propriétaire privé, mais la voie d’accès appelée « Chemin du Moulin de dessus » semble évoquer un usage collectif. Hypothèses à confirmer en consultant les titres de propriété.
Monographie de Bourg d’Oueil – 1886– Par Jean Sens, Instituteur « Les terres sont en général peu fertiles et on n’obtient une récolte satisfaisante qu’à force de fumier. L’orge est la seule céréale qui récompense l’agriculteur de ses peines ; aussi sème-t-on peu de blé, de seigle, de méteil et de sarrazin. Les autres productions principales sont les pommes de terre, les lentilles et les pois. Chaque famille récolte aussi le chanvre et le lin nécessaires à la fabrication du linge de maison. Deux petits moulins possédés en commun par les différentes familles et mis en mouvement par les eaux de la Neste suffisent amplement pour moudre le grain nécessaire. Un petit moulin à scie bâti en amont des deux autres divise en planches les quelques roules qu’y apportent les habitants. Un scieur étranger y travaille deux fois par an au printemps et en automne. »
Monographie de Caubous – 1885– Par Mme Anna Laurens, Institutrice « Le seul cours d’eau un peu considérable est la Neste… Son débit varie aux diverses époques de l’année. Une pluie le grossit beaucoup, un fort orage en fait une rivière redoutable qui se précipite avec un fracas considérable, déborde sur les prairies et abîme tout sur son passage. Lors de l’inondation de 1875, les moulins et les ponts furent emportés et les prés se ressentent toujours de l’ensablement qui eut lieu. Deux moulins sont possédés en commun et chaque maison s’en sert à tour de rôle. On cuit chez soi son pain de seigle, de méteil ou de blé. Plusieurs brebis sont engraissées et salées pour constituer le fond de la cuisine. Avec le porc salé, les légumes et le laitage, elles sont la nourriture habituelle. »
Monographie de Cirès – 1886– Par Jean-Bertrand Laurens, Instituteur « Plusieurs familles possèdent en commun un moulin et s’en servent à tour de rôle. Le pain est de méteil et souvent du blé le plus pur. On se nourrit en général simplement mais substantiellement parce que tout le monde sans exception est dans une aisance relative. Le fond de la cuisine se compose en majeure partie de laitage, de légumes, de porc et de brebis salés. On fait dans les repas un usage très modéré de vin. »
Monographie de Mayrègne – 1886 – Par Jean-Fulgence Arrieu, Instituteur « Au point de vue de la culture des champs, l’assolement triennal est le seul adopté. Telle est la division : 1ère année, seigle et blé ; 2ème année, orge et avoine ; 3ème année, sarrazin et pommes de terre. Mayrègne n’a ni carrières, ni mines exploitées, point d’usines ni manufactures, deux moulins et une scierie mis en mouvement par l’eau suffisent aux besoins de la population. »
Monographie de St Paul d’Oueil – 1885 – Par Hilaire Cazeneuve, Instituteur « La commune possède une carrière de marbre près de Maylin mais elle n’est point exploitée. Elle possède trois petits moulins situés sur l’One. Ces moulins sont indivis et chaque propriétaire use de son droit pour moudre son grain. Les dépenses pour l’entretien sont payées au prorata. Elle possède également une scierie. »
Monographie de Saccourvielle – 1886 – Par Jean-Marie Vidailhet, Instituteur « Autour du village et au-dessus s’étend la terre labourable, terre légère et sablonneuse qui se couvre en été de belles moissons de blé, de seigle, d’orge, de maïs et de sarrazin. C’est à l’aide de vaches qu’on laboure le sol. Elles traînent la traditionnelle charrue de bois en automne… La culture fait peu de progrès, c’est à peine si l’on fait l’acquisition de quelques batteuses. On emploie pour couper la moisson la primitive faucille et pour couper les fourrages, la faulx. L’exploitation se fait à dos de cheval. Quatre moulins mis en mouvement par l’eau du torrent servent à moudre tout le grain nécessaire à la consommation des habitants. Tout à côté se trouve une scierie mécanique où sont conduits les roules de la forêt et qui se transforment en belles planches. »
Monographie de Trébons – 1886– Par Anne-Marie Laurens, Institutrice « Le village est relié à la route thermale N° 1 qui va de Bagnères-de-Bigorre à Bagnères-de-Luchon par le chemin vicinal N° 1, Réseau subventionné, qui est loin d’être terminé, mais qui permettra aux habitants de transporter plus facilement les denrées au chef-lieu du Canton. C’est par ce chemin que sont exploitées les prairies qui s’étendent sur le bord de l’One, ainsi que le moulin à farine situé sur le bord de la route thermale N° 1. » Nota – Dans la monographie de Trébons, il est également fait état d’un jugement du 28 juillet 1668 ainsi libellé : « Ce jugement admet le dit Sieur Sapène à produire le titre de propriété d’une scierie qu’il possédait sur la rivière du Larboust, et des droits d’usages par lui prétendus sur les forêts et montagnes de la dite vallée. Faute de production de titres, le jugement lui accorde la faculté de conserver ses droits moyennant une redevance de six livres par an. »
Monographie de Portet – 1886– Par Pierre-Jean Fourment, Instituteur « Le pain de la commune est très noir ; cela doit tenir sans doute aux propriétaires qui vont moudre eux-mêmes à deux moulins situés à deux pas du village. Ces deux moulins appartiennent à la commune et sont entretenus par elle. Les meules sont en granit. » (ci-contre illustration de l’auteur de la monographie)
Monographie de Jurvielle – 1886– Par Augustin Bordes, Instituteur « Les céréales diverses récoltées dans le territoire de la commune, blé, seigle, méteil, orge, sarrazin, donnent le chiffre de 435 hectolitres environ. Les pommes de terre celui de 1000 hectolitres. Les prairies, toutes naturelles, produisent 3000 quintaux de foin. La vigne et les arbres fruitiers n’y poussent pas, la température étant trop froide. C’est d’après l’ancienne routine qu’on laboure encore. On se sert de charrues en bois, fort légères, qui ne font que gratter la surface de la terre, laquelle produit passablement néanmoins grâce à la grande quantité de bon fumier qu’on y transporte. On dépique avec de petites batteuses que l’on fait mouvoir avec les bras, ce qui est très pénible, on bat aussi avec les fléaux. Un propriétaire possède une usine à scier le bois. Deux moulins appartenant à des particuliers moulent le grain du village. »
Monographie de Cathervielle – 1886– Par Jean-Bertrand Mengue, Instituteur « Les principales céréales sont le blé, le seigle, l’orge, l’avoine, le maïs, les pommes de terre, divers légumes et des plantes potagères. Cathervielle ne compte sur son territoire ni mine, ni carrière, ni manufacture. Il possède seulement trois moulins à eau appartenant à divers particuliers qui tantôt travaillent, tantôt chôment parce qu’ils manquent d’eau, soit à cause de leur mauvais état. Pourtant rendons hommage à la vérité et disons qu’ils sont suffisants pour l’entretien du village. »
Monographie de Garin– 1885 – Par Jean-Pierre Comet, Instituteur « Un seul petit ruisseau formé par les sources des montagnes de Portet, de Jurvielle et de Cathervielle traverse le village et les propriétés. Il donne environ 300 litres d’eau par seconde. Le volume est si petit surtout en été qu’il suffit à peine pour arroser les prairies et mettre en mouvement cinq petits moulins appartenant à divers propriétaires de la commune et indispensables pour l’entretien des habitants. Garin ne compte sur son territoire ni mine, ni carrière, ni usine, ni manufacture. C’est seulement, comme je le disais plus tôt, cinq petits moulins qu’il possède appartenant à divers propriétaires qui tantôt travaillent, tantôt chaument soit parce qu’ils manquent d’eau, soit à cause de leur mauvais état. Pourtant rendons hommage à la vérité et disons qu’ils travaillent assez pour l’entretien du village. »
Monographie de Gouaux de Larboust – 1886– Par Jean-Pierre Lassalle, Instituteur « La commune produit en céréales de toutes natures, consistant en froment, seigle, méteil, orge, sarrazin, se semant sur 42 hectares de terres labourables donnant, année moyenne, un rendement de 13 hectolitres par hectare, en somme … 671 quintaux métriques . Il existe à Gouaux des moulins à farine mus par l’eau, pas d’autres usines ni manufactures. »
Monographie de Cazaux de Larboust – 1886– Par Joseph Jourtau, Instituteur « Les habitants du village de Cazaux se livrent aussi à la culture des céréales et la surface occupée par cette culture est de 47 hectares : seigle (20), froment (10), sarrazin (7), maïs (4), méteil (3), orge (2), millet (1). La commune n’a qu’une scierie sans importance et qu’un seul moulin qui reste dans l’inactivité la moitié de l’année. L’un et l’autre sont la propriété d’un même particulier. »
Monographie de Castillon de Larboust – 1886– Par Jacques Seignourat, Instituteur et secrétaire de mairie « Le sol est généralement pauvre. Sa partie cultivée en céréales est sablonneuse ; celle cultivée en prairies naturelles est argileuse. Ce n’est qu’à force d’engrais qu’on parvient à lui faire produire des récoltes assez abondantes. La commune ne récoltant pas assez de grain pour la nourriture de ses habitants, tous les ans chaque famille, à quelques exceptions près, est obligée de s’approvisionner pour sa subsistance aux marchés de Bagnères-de-Luchon ou de Montréjeau. Les procédés de culture sont toujours les mêmes, toujours la vieille routine. Il y a cependant le battage des céréales qui se fait en partie avec les machines à bras. La commune est desservie sous le rapport de la mouture des céréales par deux moulins à eau appartenant en commun aux habitants. Chaque famille a un ou plusieurs jours connus par mois pour moudre son grain. »
Monographie de St Aventin – 1886 – Par Alexis Laurens, Instituteur… et futur maire de Trébons « A propos de l’One appelée vulgairement la Neste… Son débit de 12 m3 par seconde, inoffensive en été mais en automne et au printemps, elle sort souvent de son lit, emportant les digues, les canaux d’irrigation et des moulins… La quantité de blé récolté dans la commune n’est pourtant pas suffisante pour subvenir à l’entretien des habitants ; la plupart des familles achètent tous les ans quelques hectolitres de blé. La consommation de pain est considérable dans la commune : l’air pur et les eaux vives contribuent puissamment à exciter l’appétit. Non seulement les forêts surveillées par une garde forestier qui reçoit un traitement de 700 fr fournissent aux habitants de St Aventin le bois nécessaire pour la construction et l’entretien des bâtisses, pour le chauffage, les instruments aratoires, mais elles sont pour la commune une source de revenus. Chaque année elle vend des sapins pour une valeur moyenne de 10.000 fr. Une fois coupés et équarris, ils sont amenés dans deux scieries mises en mouvement toute l’année par les eaux de l’One où ils se transforment en de belles planches de toutes les dimensions. On trouve enfin dans la commune deux moulins à farine, deux scieries, deux menuisiers, quatre maçons et un étameur-chaudronnier. »
1933 : le moulin de Trébons sur le cadastre communal
Sur le cadastre de Trébons de 1933, on retrouve en filigrane le cadastre de 1837. Le nom du quartier a changé : ce n’est plus La Gleyso mais Artigaou. La Route Thermale N°1 a été créée avec un nouveau pont sur la « Rivière de l’Aune » en amont du seul moulin qui reste, au débouché du Chemin du Moulin (anciennement Chemin du Moulin de dessus). Le second moulin, qui n’existait déjà plus en 1886, a probablement été emporté lors des inondations de 1875.
La
Route Thermale a été assurément pour la vallée de Larboust l’un des grands
chantiers du milieu du 19ème siècle d’autant plus que les communes
ont été mises à contribution au nom d’une loi de 1836 qui obligeait les
communes à procéder à l’acquisition des terrains nécessaires à l’établissement
des voies de grande communication (cf délibération du conseil municipal de
Trébons n° 5 du 1er novembre 1842).
Une
fois la Route Thermale terminée, sans doute vers 1846, la question s’est
naturellement posée de l’accès des villages qui n’étaient pas directement
desservis comme Trébons et Cazarilh avec un principe fondamental, celui d’une
participation financière des communes tant pour l’achat des terrains que pour
les travaux de construction.
Pour
une commune pratiquement sans ressources comme Trébons, dont la seule recette
provenait du fermage de la carrière du Litau, c’était a priori une mission
impossible, ce qui explique sans doute au départ le peu d’enthousiasme du Maire
de Trébons dans une lettre qu’il adresse au Préfet le 12 mars 1870 :
« Le nouveau tracé du chemin de petite communication N° 1 et 2 de la commune de Trébons présente de grands inconvénients dans son parcours attendu qu’on va rendre impraticable l’exploitation de la plus grande partie des propriétés et qu’il est impossible que l’Eglise ne soit gravement menacée par suite d’un escarpement partie supérieure, il est donc à désirer que Monsieur le Préfet prenne en considération les observations des intéressés consignées dans le procès-verbal d’enquête : l’ancien chemin est plus que suffisant pour la commodité de la commune de Trébons en y employant toutes les journées en nature chaque année. Nous espérons donc que les prestations des journées de l’année courante soient employées au vieux chemin, attendu qu’un nouveau tracé ne peut être suivi. »
Mais ce
projet est rapidement apparu comme inéluctable d’autant plus que les intérêts
des deux communes de Trébons et de Cazarilh se trouvaient étroitement liés. Et
c’est précisément cette situation que Trébons va exploiter en obtenant en 1882 que
Cazarilh prenne en charge la totalité des frais du chemin vicinal n° 3 depuis
la sortie du village de Trébons jusqu’à Cazarilh, mais aussi en demandant que
Cazarilh participe à d’autres dépenses. Ainsi le 17 février 1885, alors que le
chantier est bloqué faute de pouvoir financer l’achat de terrains, le Maire de
Trébons écrit au Sous-Préfet :
« En présence de l’impuissance de notre commune à faire de nouveaux sacrifices pour cet objet, et considérant que la Commune de Cazarilh-Laspénes possède des subventions beaucoup plus que suffisantes pour terminer le chemin sur son territoire et jusqu’au village de Trébons, j’ai l’honneur de vous prier M. le Sous-Préfet de vouloir bien inviter cette commune à contribuer à une dépense plus utile pour elle que pour Trébons, en prélevant sur les subventions qu’elle possède la somme de 628 fr 80 qui nous manque pour assurer le paiement intégral du terrain. »
Vingt ans plus tard, en 1905 il restait encore 285 m de
route à construire pour un montant de 4000 fr auxquels la commune devait
participer pour 818 fr comme l’indique la délibération 73 du 10 mars
1905 :
« Pourrions-nous encore couvrir par un rôle volontaire la somme de 818 fr sans compromettre les intérêts agricoles ? Nous avons employé dans le mois de janvier dernier pour la masure Caussette des journées pour 144 fr. Nous emploierons pour la dite construction les 3 journées de prestation évaluées à 77 fr, et nous prenons à notre charge l’entretien annuel de tous les chemins que M. l’agent voyer cantonal pourra exiger et surveiller. Nous avons le ferme espoir que l’administration compétente prendra en considération notre pénible situation et nous accordera les subventions nécessaires pour terminer notre principal chemin. »
1950 : les moulins sur la carte IGN
En 1950, il ne reste plus que 7 moulins répertoriés sur la carte IGN en vallée d’Oueil et seulement 2 en vallée de Larboust. On peut penser que certains, comme celui de Trébons, sont encore présents mais complètement tombés dans l’oubli après leur renaissance éphémère pendant la guerre ! Il est probable que ceux qui étaient encore en état de fonctionner, comme celui de St Paul, près du hameau de Maylin, servaient pour l’alimentation des animaux.
Appel à contribution Tous ceux qui souhaitent partager des documents ou des témoignages sur le moulin de Trébons sont naturellement les bienvenus. Merci de contacter le webmaster (D. Gauchon) qui se chargera de la mise en ligne sur le site
Petit bâtiment discret de 16 m² en léger contrebas de la route du col de Peyressourde le moulin de Trébons avait longtemps été un lieu essentiel de la vie des habitants de Trébons et de Cazaril qui venaient y moudre le grain des céréales qu’ils cultivaient (blé, seigle, maïs et sarrasin). Lors de la seconde guerre mondiale, il avait connu une ultime heure de gloire en permettant aux habitants de continuer clandestinement à moudre de la farine pour faire du pain malgré les interdictions de l’occupant allemand mais peu après la fin de la guerre, il avait cessé toute activité.
Un événement dramatique avait bien failli signer son arrêt de mort en 1971
avec la construction d’un nouveau pont sur la Neste d’Oueil qui avait eu pour
conséquence la destruction de la prise d’eau et du canal qui l’alimentait. Il
avait fallu toute la persévérance du Maire, Pierre Caussette, pour obtenir de
la DDE, à la fin des années 80, le rétablissement d’une alimentation en eau
sous la forme d’une conduite enterrée d’une trentaine de mètres à partir d’une
prise d’eau en aval du pont.
Entre temps, en 1977, le bâtiment s’était fortement dégradé et menaçait de s’écrouler. Après plusieurs demandes, une subvention de 11 208 F avait été enfin obtenue mais elle ne suffisait pas à financer les travaux estimés à 28 000 F. Il avait alors été décidé en 1979 de confier à une entreprise une partie des travaux (pour un montant de 11 499 F) et que le reste serait réalisé par les habitants du village.
Depuis lors, quelques opérations mobilisant les habitants du village avaient permis de temps en temps de maintenir le site et de veiller notamment à l’entretien de la toiture, marques de considération pour un patrimoine communal auquel les habitants restent très attachés. Certains se souviennent même d’avoir vu fonctionner le moulin lorsqu’ils étaient enfants et tous en ont évidemment entendu parler par leurs parents, leurs grands parents ou leurs voisins.
Pourtant le moulin gardait pour beaucoup une grande part de mystère car sa
porte était naturellement fermée à clé, aucune ouverture ne permettait
d’apercevoir l’intérieur et le système de roue horizontale était d’autant plus
invisible… qu’il s’était couvert au fil des décennies d’une couche de vase de
plus de 50 cm !
D’ailleurs,
cette roue horizontale existait-elle encore ?
Pour répondre à cette question, un habitant du village a demandé au Maire,
Pierre Jaussely, l’autorisation de procéder à un nettoyage de la partie basse
du moulin. Il a vite été rejoint par d’autres habitants qui sont venus l’aider
permettant ainsi, après le déblayage du canal de fuite et la remise en état des
vannes, de pouvoir remettre progressivement au jour le cœur du mécanisme du moulin :
une magnifique roue métallique de 86 cm de diamètre équipée de 24 pales
incurvées de 21 cm de hauteur.
Il fallait encore comprendre comment marchait le moulin car le principe – simple
en apparence – d’une roue en prise directe avec la meule ne peut pas
fonctionner sans que la meule tournante soit légèrement soulevée pour ne pas
être en contact avec la meule dormante. A cet effet, il devait nécessairement se
trouver sous la roue une traverse en bois (appelée pontille) avec une extrémité
fixe et l’autre reliée à un levier à l’intérieur du moulin…
Et en creusant un peu plus après avoir dégagé la roue, les « archéologues amateurs » découvrirent noyée dans la vase et les galets la présence d’une poutre en bois (sans doute du chêne), d’une longueur de 1,50 m, assez bien conservée, fixée dans le sol à son extrémité aval par deux pitons en fer : c’est manifestement sur cette poutre que repose la roue maintenue par une crapaudine. L’extrémité libre devait être reliée à un levier à l’intérieur du moulin : cette pièce en bois de 2,80 m dont se souviennent parfaitement les utilisateurs est encore présente dans le moulin mais fortement dégradée. Il restera à comprendre exactement son mécanisme… pour pouvoir reconstituer un ensemble fonctionnel.
Après cette campagne impromptue de « fouilles », une seule inconnue semble subsister : le flux naturel de l’eau n’étant pas suffisant pour faire tourner la roue, il faut imaginer qu’un système permettait de canaliser l’énergie motrice en dirigeant l’eau très précisément sur les pales. Il n’existe apparemment aucune trace de ce dispositif (appelé coursier) qui était probablement en bois et qui devait pouvoir se manœuvrer depuis l’intérieur du moulin afin d’actionner ou d’arrêter la rotation de la roue.
Pour mieux comprendre comment fonctionnait le moulin, il était également intéressant de rechercher des personnes l’ayant utilisé. On lira ici les propos de trois personnes qui s’en sont servi pendant la dernière guerre alors qu’elles étaient enfants et accompagnaient leur maman ainsi que d’une autre personne qui s’est servi beaucoup plus tard du moulin de St Paul à la fin des années 60.
Et
maintenant ?
Les travaux qui ont été réalisés ont montré que le moulin reste un élément important du patrimoine communal permettant à chacun selon ses souhaits et ses possibilités de participer à la vie du village, y compris en partageant des témoignages d’un passé où chacun, enfants, parents et grands parents, retrouve ses racines. Car le patrimoine c’est aussi une question de mémoire collective qui nécessite de collecter des documents et des témoignages pour pouvoir les partager, ce qui est justement la modeste ambition de ce site. Un entretien régulier sera nécessaire. Beaucoup pensent qu’il pourrait se faire sous la forme d’un chantier communal annuel auquel tous les habitants de Trébons (et de Cazaril ?) seraient conviés avec un moment de convivialité autour d’un pique-nique… Et l’hypothèse d’une remise en service au moins symbolique du moulin pourrait se concrétiser après une étude plus technique et un regard sur les autres moulins de la vallée qui fonctionnaient sur le même principe. Ainsi une visite rapide au moulin de St Paul d’Oueil (voir photos en annexe 3) a permis d’identifier de nombreux éléments communs et de mieux comprendre le mécanisme afin de faciliter la reconstitution du puzzle.
Daniel Gauchon – 25 août 2019
Annexes
1 – Le moulin de Trébons dans les délibérations du conseil municipal
Délibération 175 du 12/12/1962 – Demande de compensation au projet EDF d’une centrale au confluent des nestes d’Oueil et d’Oô qui capterait l’eau depuis Mayrègne : indemnité pour déficit d’irrigation, moteur électrique pour le moulin et électricité gratuite pour les riverains.
Délibération 256 du 24/10/1977 – Réparation du Moulin communal pour 19 923 F. Réfection de la toiture et d’une partie des murs. Demande de subvention.
Délibération 305 du 18/03/1978 – Nouveau devis et constat que la subvention n’a pas été accordée. Devis de 28 020,50 F : nouvelle demande de subvention et décision d’inscrire la part restant à la charge de la commune au budget courant.
Délibération 307 du 23/12/1978– Financement des travaux au Moulin. Devis de 28 020,50 F. Subvention de 11 208 F accordée par la commission départementale. Part communale de 16 812 F sera inscrite au budget supplémentaire 1979.
Délibération 311 du 23/06/1979 – Travaux au Moulin : le devis s’élevant à 28 020,50 F il est décidé que 11 499 F seront confiés à une entreprise compte tenu de leur difficulté d’exécution et le reste réalisé bénévolement par les habitants
2 – Les images de la « campagne de fouilles » effectuée en août 2019
3 – Le moulin de St Paul d’Oueil A 3 km en amont sur la Neste d’Oueil, le moulin de St Paul d’Oueil fonctionnait encore à la fin des années 60 pour moudre le maïs destiné aux animaux. Il ressemble comme un frère à celui de Trébons avec des meules de 120 cm de diamètre. Son système de levier actionnant une tige métallique pour soulever la meule tournante est encore présent et il reste un vestige du dispositif d’amenée d’eau sur les pales alors que le canal d’alimentation a complètement disparu. D’un diamètre de 90 cm, la roue possède 12 pales incurvées avec des renforts en partie supérieure et inférieure. Elle est reliée à la meule par un arbre de transmission en bois de section carrée (15 x 15).
Dans un ouvrage paru en 1860 intitulé « Les Pyrénées et les eaux thermales sulfurées de Bagnères de Luchon » le Docteur Ernest LAMBRON (Médecin, Inspecteur-adjoint des Thermes de Luchon) parle des sources ferrugineuses et décrit notamment celle de Trébons qui apparaît comme la plus abondante de la région. Il évoque leur rôle thérapeutique et envisage même une exploitation sous forme de bains…
Sources ferrugineuses appartenant à des particuliers (page 409)
La source de TREBONS appartenant à Joseph Lauran dit Grognet, du village de CAZARIL.
Située sur la montagne de CAZARIL, elle est éloignée d’environ 4 kilomètres de la ville. Pour y arriver, il faut suivre la route de Bigorre ou de St Aventin ; prendre, après avoir dépassé le deuxième pont de quelques centaines de pas, le petit chemin qui monte à droite au village de TREBONS, passer au pied de l’église et suivre le sentier qui s’étend horizontalement sur le flanc de la montagne vers la tour de Castel-Blancat. On n’a pas fait 200 pas sur ce sentier qu’on trouve l’espèce de petite hutte en pierre et en bois dans laquelle cette source est renfermée. Celle-ci ne sort pas directement des schistes, comme celle de Barcugnas, mais d’une assise de calcaire gris esquileux, presque massif : aussi, ses eaux sont-elles très peu alumineuses. Son débit est considérable ; elle coule par un jet qui a plus de 2 centimètres de diamètre et sa température, de 11°, reste invariable, quelle que soit celle de l’air ambiant.
La source de la route de SALLES, située à moins de 3 kilomètres de la ville, est la plus facilement accessible. Il est donc peu de malades qui ne puissent aller boire les verres d’eau qui leur ont été prescrits. Elle est constituée de filets épars… dont la réunion permettrait d’obtenir un seul jet très volumineux, avec lequel il serait peut-être possible de donner des bains ferrugineux, en les chauffant, à l’abri du contact de l’air, avec des tuyaux parcourus par de la vapeur ou avec des thermosiphons. Nous avons trouvé la température à 15° lorsque celle de l’air n’était que de 12°.
Trois autres sources sont également citées, mais peu abondantes : celle de BARCUGNAS, celle de CASTEL-VIEIL et celle située au-dessus du village de SALLES.
En résumé les eaux ferrugineuses de Luchon se rangent dans la catégorie des sulfatées ferrugineuses car elles sont généralement minéralisées par le sulfate de fer ; quelques unes, par exception, sont crénatées ; presque toutes renferment de l’alumine. Celles qui sortent franchement ferrugineuses des calcaires me semblent devoir mériter la préférence, en ce qu’elles sont moins alumineuses. Ce sont celles dont j’ai eu le plus à me louer.
Article paru le 8 août 2015 dans la Gazette du Luchonnais
On sentait bien qu’il se passait des choses peu banales à TREBONS DE LUCHON depuis quelques semaines… Des affiches sauvages avaient fleuri ici et là, signe annonciateur d’un événement que certains même n’hésitaient pas à qualifier de « Renouveau » !
Jeudi dernier, lorsque la municipalité a dû prendre la décision inattendue de déplacer le conteneur de collecte des déchets ménagers qui se trouvait près de la fontaine au centre du village, il a bien fallu se rendre à l’évidence : il se passait vraiment quelque chose !
Certes, le fait de déplacer d’environ un mètre ce qu’il est courant ici d’appeler une poubelle pouvait sembler un événement mineur, mais il faut comprendre que cette poubelle se trouvait là depuis des temps immémoriaux, certains prétendant même que cela remonte à 1883 à l’initiative du génial préfet Eugène Poubelle !
Un regard attentif sur les lieux de ce déplacement étrange obligea pourtant à se poser une question essentielle : pourquoi avoir placé sur le mur communal, à l’endroit même où reposait paisiblement cette poubelle historique, un panneau rond en lettres blanches sur fond rouge pour en interdire l’entrée ?
Les non-initiés, à l’esprit trop rationnel, ont immédiatement fait part de leurs objections : interdire l’entrée d’un mur, cela n’a aucun sens…
Et il a donc fallu faire appel à des spécialistes de phénomènes paranormaux, dont le célèbre Albus Dumbledore, pour essayer de percer le mystère de ce phénomène.
Après quelques investigations, ils ont découvert des indices troublants : le panneau était surmonté d’une étrange lanterne, et la mention « Défense d’entrer » lue avec des lunettes de haute technologie littéraire se révéla recouvrir l’inscription « Accès à Poudlard ».
Ainsi donc, au beau milieu de cet été de l’an de Grâce 2015, on venait de découvrir à TREBONS DE LUCHON un nouveau « chemin de traverse » pour accéder au monde mystérieux d’Harry Potter, car, comme chacun sait, Poudlard est le nom de la fameuse Ecole de Sorciers célèbre dans le monde entier !
Il est probable que cette découverte stupéfiante va enfin permettre de relancer les recherches jamais abouties sur la localisation du souterrain qui relie le village de TREBONS à la Tour de Castelblancat !
Andromède – Journaliste-Reporter en vacances dans le Larboust
Les élèves de l’école de Cazarilh-Laspènes en 1926
Premier rang : Bertrand MAYA, Suzanne MAYA, Marie-Louise (Lili) LAFFORGUE
Deuxième rang : La maîtresse, Pierrette CRISTAU, Henri LAFFORGUE, Maurice FAIBUS, Gabrielle LAFFORGUE, Rose LAFFORGUE, Jeanne LAURENS, Gabriel LAFFORGUE
Nota : tous les élèves du deuxième rang étaient déjà scolarisés à l’école de Cazaril en 1920-1921
Site participatif de la commune de Trébons-de-Luchon
Sur les registres paroissiaux d’avant la Révolution on lit « paroisse de Cazaril et Trébons son annexe »
Sur la carte de Cassini en 1789, c’était Cazaril de las Pennes De 1792 à 1878, c’était Cazaril-Laspènes De 1878 à 1962, c’était Cazarilh-Laspènes
De 1962 à 2014, c’était Cazaril-Laspènes C’est par un décret du 3 décembre 2014 que la commune a retrouvé son h et se nomme donc officiellement Cazarilh-Laspènes
Etymologie :
– casa est un mot latin signifiant maison et casaril est sans doute un diminutif (petite maison)
– pènes vient sans doute du mot espagnol peñas signifiant rocher
Ainsi Cazarilh-Laspènes ce n’est pas « la petite maison dans la prairie » mais « la petite maison dans les rochers » !
En 1850, sur la liste des indigents de la commune de Trébons, figure Jeanne Jouaneton.
C’est une des trois filles de Blaise Jouaneton, cultivateur à Trébons et frère de Fabien Jouaneton, le premier instituteur connu de Trébons en 1823.
Blaise (né le 22 juillet 1786) et Fabien sont les enfants de Jean Jouaneton de Trébons et de Michelle Grougnet.
Blaise s’est marié le 21 septembre 1813 avec Françoise Coulat de Castillon.
Reynette Jouaneton, la soeur de Blaise et Fabien, s’est mariée avec Pierre Laurens de Trébons : ce sont les grands parents paternels d’Alexis Laurens qui sera instituteur à Cazarilh puis à St Aventin et Maire de Trébons de 1900 à 1908.