Trébons et Cazarilh (1886)

Extraits de la monographie de l’Instituteur Louis Saubadie – 1886 – Commune de CAZARILH-LASPENES
Monographie publiée en 2013 dans la « Revue de Comminges » par la Société des Etudes du Comminges

CAZARILH et TREBONS en 1886 – Paroisse, route, légende, langue, rivière, météo : quelques extraits qui témoignent d’une communauté de destin, même si les relations pouvaient parfois être orageuses…

 Une même paroisse

La religion catholique est seule en usage à Cazarilh qui forme, avec la petite commune de Trébons une paroisse administrée par un curé. On n’y rencontre pas d’athée proprement dit, mais un grand nombre d’indifférents, surtout parmi les hommes. Cela provient d’abord de ce que les ouvriers choisissent souvent le dimanche pour aller régler leurs affaires à Luchon ; ensuite du peu d’empressement que met l’administration épiscopale à nous donner un prêtre quand la cure est vacante. D’ailleurs, comme la montée est pénible, le village un peu isolé, et le casuel peu important, les curés se plaisent peu à Cazarilh et passent une bonne partie de leur temps à Luchon ou ailleurs ; ils font tout leur possible pour obtenir leur changement dès les premières années de leur résidence. À chaque mutation, la commune reste au moins un an sans prêtre et quand on lui en donne un, les habitants sont déjà habitués à s’en passer. Aussi ces ministres se plaignent-ils amèrement du peu d’empressement que les habitants mettent à assister aux offices ; mais leurs lamentations tombent en général dans le vide car ils sont souvent en compagnie seulement de quelques dévotes pour chanter vêpres : on chante alors « vêpres basses » dit le public.

Il n’en était pas ainsi autrefois et nos ancêtres gémiraient s’ils connaissaient notre indifférence. Malgré le peu d’importance de la population, la cure n’est jamais vacante. Les registres de la paroisse tenus assez régulièrement depuis 1635 prouvent d’une manière péremptoire que les prêtres s’y sont succédé sans interruption, même pendant la Révolution française. Mais nous avons remarqué qu’à partir de cette époque, plusieurs actes ont été périodiquement rédigés en une sorte d’idiome ressemblant beaucoup au patois de la vallée d’Aran. Ce fait, rapproché de diverses histoires qu’on raconte dans le pays prouve qu’à cette époque, le clergé français de nos vallées était recruté en Espagne. Mais combien devaient être ignorants ces pauvres ecclésiastiques. Les actes sont si mal écrits que, sans le secours du patois, il serait impossible de les déchiffrer. Les vieillards d’ici racontent d’ailleurs que l’un de ces prêtres ne savait lire que dans son bréviaire.

Une même route

En dehors de la route thermale, notre commune ne possède que des chemins vicinaux et des chemins d’exploitation. Les premiers, au nombre de deux, sont entretenus avec soin par les habitants, mais, néanmoins l’un est presque toujours en mauvais état par suite des dégradations continuelles des eaux. C’est un chemin muletier partant de la route thermale au lieu-dit Payssas et aboutissant au village après avoir suivi les crêtes de la Casseyde qui dominent la ville de Luchon.

L’autre chemin allant de Cazarilh à Trébons pour aller rejoindre la même route thermale dont nous venons de parler est en voie de construction. La commune s’est imposé à cet effet de lourds sacrifices ; l’État est venu largement à son aide et l’on peut prévoir qu’à une époque assez rapprochée, les habitants pourront s’approvisionner convenablement car jusqu’ici il était impossible de transporter au village un ballot tant soit peu considérable sans le partager en plusieurs parties : deux hectolitres de vin ne sont encore jamais arrivés chez nous dans un seul fût.

Cette route est donc appelée à rendre de très grands services; mais aussi elle aura coûté une somme relativement énorme puisque les contributions communales ont été presque doublées à la suite des emprunts qu’ont nécessités les dépenses et frais de construction.

En outre, qu’il nous soit permis de constater ici combien les influences personnelles sont parfois néfastes aux communes lorsqu’elles sont employées à soutenir des intérêts particuliers aux dépens du bien public. Cette route en est un exemple frappant, puisse-t-il servir aux générations futures.

En effet, le but de la commune de Cazarilh, lorsqu’elle a contracté des emprunts pour construire un chemin carrossable était certainement de se mettre en relations directes avec Luchon, son chef-lieu de canton, centre de toutes les affaires du pays et particulièrement de notre village. Un chemin de quatre kilomètres passant exclusivement sur notre territoire à l’est de la commune aurait certainement rempli les conditions désirables. Mais certaines personnes de la commune, bien placées pour faire avorter ou réussir le projet, avaient des propriétés considérables sur la région opposée, c’est-à-dire du côté de l’ouest; elle pactisa avec la municipalité de Trébons pour obtenir le tracé dans cette direction. On ne pouvait faire un plus mauvais choix. Par cette voie notre commune est éloignée de Luchon de plus de six kilomètres; en outre nous avons été obligés de construire non seulement notre chemin, mais encore une bonne partie de celui de Trébons. Aujourd’hui encore, cette commune demande que nous fassions de nouveaux sacrifices.

En définitive, Cazarilh a été dupe des promesses de Trébons et des compromissions de quelques personnes haut placées. On lui avait promis que cette voie de communication serait ouverte dans cinq ans au plus tard ; il y a huit ans que les chantiers sont ouverts et il reste encore à construire au village de Trébons, un tronçon de chemin qui rend à peu près inutiles les travaux faits jusqu’à ce jour.

Une même légende

Les superstitions se sont donné ici un libre cours durant bien longtemps, si l’on en juge par les nombreux récits qui font souvent les frais de la conversation durant les longues soirées d’hiver. Elles sont encore presque indéracinables. Ainsi on raconte encore avec effroi qu’un chat blanc désigné sous le nom de « Chat de Trébons » avait le pouvoir de jeter des sorts. Malheur à qui essayait de le tuer, un membre de la famille mourait dans l’année. Un jeune homme s’étant avisé de lui jeter une pierre qui l’atteignit à la jambe, trouva le lendemain une de ses vaches morte; l’une de ses jambes avait été arrachée! Ce chat marchait souvent à quelques pas des personnes qu’il poursuivait, changeait de nature,devenait porc, loup etc. et disparaissaitensuite subitement. Enfin ce chat donne toujours lieu à des récits fantastiques où le merveilleux le dispute souvent à la naïveté.

Les vieilles personnes parlent aussi du Drac, animal qui avait le pouvoir de se présenter indifféremment sous forme d’animal, de personne, de géant; des Incantades qui étendaient leur linge sur les rochers avoisinant le village.

Une légende qu’il serait peut-être possible de reconstituer si l’on pouvait faire corroborer les divers récits qu’on raconte à ce sujet dans tout le canton de Luchon est celle des Géants du Larboust. Mais le peu de renseignements que nous avons pu recueillir ne nous permet pas de saisir entièrement le sens des quelques contes incohérents que nous avons entendus.

Nous avons pu seulement comprendre que ces géants étaient au nombre de douze et commettaient dans le pays des actions abominables. Ils étaient servis par une jeune héroïne qui leur imposait ses volontés. Tous, géants et héroïne, furent enterrés sur le versant septentrional de la montagne de Superbagnères.

Du plateau de la petite église de Cazarilh, on remarque, en effet, tout à fait en face, et sur la pente orientale du Val de Gourron treize grandes excavations ayant la forme de sépulcres gigantesques. La première de ces excavations est plus petite que les autres ; c’est, dit-on, là que repose la compagne des douze géants.

Ces prétendues tombes ne sont autre chose que des plis du terrain formé par les eaux; en effet, ce sol étant formé d’argile et de petits cailloux roulés, a pu facilement être sillonné régulièrement par les eaux de la montagne, ces eaux passant toujours sur le même point, ont creusé des ravins sur la terminaison d’une couche du terrain diluvien.

Une même langue

On parle dans le village deux langues bien distinctes: le français, employé rarement entre habitants du pays et le patois, idiome expressif, cher à toute personne qui aime le lieu où elle est née, cher surtout à celui qu’une circonstance quelconque a éloigné de la montagne. L’amour de cette langue se retrouve parmi tous, femmes, vieillards, enfants, savants ou ignorants. À Paris, à Toulouse, en quelque lieu qu’il soit, le montagnard est heureux lorsque, dans l’intimité, il peut s’abandonner à une de ces causeries qui lui rappellent son pays, ses parents et les mille souvenirs de son enfance, et principalement lorsqu’il peut reparler la langue que sa mère lui a enseignée au berceau.

Dans les campagnes surtout, la langue française est très peu en usage ; on le comprend, mais on ne s’en sert pas. On éprouve même quelque répugnance à écouter la conversation d’une personne du lieu qui parle français; un étranger sera goûté quelque langue qu’il parle, on le renseignera, on le choiera même au besoin ; mais on désignera sous le nom de « franchimant » tout homme du pays qui se fait une habitude de parler français.

Il est vrai que notre idiome ou patois se plie très facilement aux nécessités du langage, à l’art de bien exprimer sa pensée, qu’on s’en passe difficilement lorsqu’on à l’habitude de la parler ordinairement. Les diminutifs et les augmentatifs y sont échelonnés de telle sorte qu’on ne peut guère les remplacer par des expressions françaises ; beaucoup de noms communs ne peuvent même avoir leur synonyme français. Or, peut le rendre dur ou doux à volonté, outrager une personne d’un coup de langue par une expression barbare ou la flatter, la caresser par une parole douce, élégante et sonore.

Dernièrement une femme querelleuse et grincheuse se disputait avec sa voisine, personne nerveuse, petite et malingre, médisante au plus haut degré et pleine de malice. La première fit d’elle en quatre mots un portrait d’une réalité saisissante ; elle l’apostropha en l’appelant: « Bipèro enfectado, mouscaillounot baisat »Je traduis imparfaitement : vipère infectée, venimeuse; très petit moucheron qui tourmente les animaux domestiques.

On parle dans le canton deux dialectes assez distincts pour la prononciation. L’un a la terminaison du féminin singulier en A, c’est celui du haut des vallées, l’autre en 0, c’est celui de la vallée de Luchon et de la ville. Ici nous parlons l’idiome de Luchon. C’est dit-on une corruption de l’ancienne langue romane. On y remarque l’absence du V remplacé par le B ; de l’X remplacé TS. Ainsi vérité fait bertat, vipère fait bipèro, exemple fait etsemplé.

Une même rivière

La Neste de Larboust est la seule rivière qui touche au territoire de la commune. Elle porte encore le nom de One qui lui vient, dit-on, des Onésiens qui habitaient le pays durant la domination romaine.

Cette rivière borne notre commune sur une étendue d’environ 1 kilomètre, mais son lit est si profondément encaissé entre les montagnes de Cazarilh et de St Aventin que les territoires environnants ne peuvent guère être irrigués par ses eaux. Le débit de la Neste varie notablement en raison des périodes sèches ou pluvieuses qui sévissent dans la région. Ainsi, tandis qu’en septembre et en octobre ce cours d’eau ne forme qu’un simple ruisseau fournissant à peine 250 litres par seconde, en mai et juin, ses nombreuses ramifications, changées souvent en torrent impétueux lui font acquérir une puissance considérable évaluée souvent à un débit de 1800 litres. Il arrive même que les ponts jetés sur ses rives sont emportés par la violence de la crue et que les terres d’alluvions qui l’avoisinent dans certains points sont profondément enlevées et transportés vers les vallées basses où elles s’accumulent au fond du lit de la rivière qu’elles font déborder.
Ces crues n’ont qu’une importance secondaire pour Cazarilh car le lit est profondément encaissé entre les montagnes sur la partie de notre territoire que baigne la Neste; mais que de ravages elles causent souvent dans les communes voisines, car la rivière, parcourant des vallées assez fortement inclinées, acquiert une force qu’aucun obstacle ne saurait maîtriser; elle change de lit, emporte une bonne partie des terrains environnants, renverses ponts, digues et constructions de manière à semer la désolation sur ses rives.
La terrible inondation de 1875 sera à jamais mémorable, celle de 1884 doit aussi être considérée comme des plus funestes. La première emporta plusieurs ponts, notamment celui de Mousquères qui relie, au sud, notre commune à celle de Luchon. Ce pont ne datait pas de trente années quand il fut détruit. Renversé en bloc au milieu du torrent impétueux, il ne dut sa perte qu’à la quantité considérable d’arbres qui s’étaient accumulés dans son arche.

Une même météo

Le vent dominant est celui de l’ouest ; c’est lui qui amène le plus souvent la pluie ; on le désigne ici sous le nom de Bigourdan parce qu’il vient de la direction de Bagnères-de-Bigorre. Celui du sud-ouest amène le plus ordinairement les orages.

Le vent d’Espagne produit sur l’organisme des phénomènes singuliers. Soufflant du sud ou du sud-ouest, il est lourd, chaud et énervant. Il cause un malaise général : lassitude, douleurs, pesanteur de la tête, soif ardente.

Ce vent dure heureusement peu de temps et se termine ordinairement par des orages.

Nous avons dit que les nuages jouent un grand rôle dans le climat de Cazarilh ; il est à peu près reconnu que le ciel est couvert chez nous pendant plus de la moitié de l’année; ils sont d’ailleurs souvent d’une importance pratique tout à fait remarquable pour la détermination du temps qu’il fera durant la journée.

À Cazarilh, il est facile de prévoir dès le matin si l’on peut compter sur un beau jour. Si au lever du soleil les aiguilles du Port de Venasque se détachent nettement sur un ciel bleu, c’est signe d’une belle journée; si le brouillard se monte à un niveau moins élevé que les aiguilles, c’est encore signe de beau temps ; mais si les pointes rocheuses sont enveloppées, invisibles, si elles ont le « chapeau », en un mot, neuf fois sur dix il pleuvra dans la journée.
Si dans la matinée le brouillard s’élève par flocons du fond de la vallée et qu’il se traîne sur le sol et sur les sapins de Superbagnères, il pleuvra dans quelques instants.
Si l’orage vient du sud ou de l’ouest, même de l’est, on ne doit guère le craindre à Cazarilh ; s’il vient du nord ou du nord-ouest, trois fois sur quatre il est désastreux.

Les pluies sont assez rares en été; mais pendant le printemps et l’automne, elles sont souvent si persistantes que les travaux agricoles en souffrent réellement. À ces époques le temps est pluvieux pendant des mois entiers; mais durant l’été, les pluies durent rarement pendant une journée entière. Durant les mois de juin, juillet, août et septembre, il y a eu en 1884 quarante et un jours pluvieux; mais ce nombre est plus que doublé pendant les mois de mars, avril, mai, octobre et novembre.

Le thermomètre ne descend pas à Cazarilh au-dessous de + 7°, du mois de juin au mois d’octobre, aussi ne gèle-t-il jamais ici durant l’été, à plus forte raison, il n’y tombe pas de neige ; mais il n’en est pas de même quant aux montagnes et aux crêtes qui nous environnent. Tous les ans, en plein mois d’août, on voit après un peu de pluie, les cimes les plus élevées se couvrir de neige; le thermomètre se tient alors ici sur + 10°.