Les tours « à signaux »

Extrait d’un article publié en 2013 dans la « Revue de Comminges » par la Société des Etudes du Comminges
(reprise d’une communication faite en 1988 au congrès de Najac et publiée en 1990 dans la revue Château-Gaillard)

 Les tours à signaux des Pyrénées garonnaises

 Les Pyrénées garonnaises dressent leurs sommets à la frontière franco-espagnole à plus de 3 000 m d’altitude. Les principales vallées qui s’y enfoncent du nord au sud aboutissent à des cols ou à des ports très élevés, telle la vallée de la Garonne, celles de la Pique et de la Neste (vallée d’Aure). D’autres comme le Val d’Oô ou le Val du Louron se terminent presque en cul-de-sac. Ces vallées auxquelles il faudrait ajouter le Larboust, le Val d’Oueil et la Barousse ont appartenu au Moyen Age soit au comté de Comminges soit à la vicomté d’Aure.

Elles abritent encore un certain nombre de tours assez bien conservées : six dans la vallée de la Garonne en aval du Pont-du-Roi, cinq en Val Louron et en vallée d’Aure, quatre dans le Luchonnais, deux en Barousse et deux à proximité de Saint-­Bertrand-de-Comminges. Ces chiffres ne rendent pas compte du nombre réel des tours ayant existé et que la documentation écrite permet de retrouver: en Luchonnais il faudrait les multiplier par deux, en vallée d’Aure par trois.

Ces tours attirent l’attention des archéologues et des historiens depuis le XIX siè­cle. Elles ont été interprétées comme des tours de guet ou des tours à signaux et mises en relation avec le péril musulman d’au-delà des Pyrénées, et donc datées des VIII-IX siècles. Cette interprétation s’alimente à une tradition vivace, celle des « saints martyrs » pyrénéens honorés dans le piémont (Cizi, Vidian, Gaudens) et en montagne où Aventin aurait été retenu captif dans les « oubliettes » de Castelblancat. Après le XI siècle, elles auraient joué le même rôle d’alerte face à l’Aragon.

Mais, contrairement aux Pyrénées orientales, les Pyrénées garonnaises n’ont laissé aucun témoignage sur l’utilisation d’un réseau de tours à signaux à quelque époque que ce soit, ni sur un éventuel système d’alerte (feu sur la plate-forme sommitale?). Par ailleurs, l’hypothèse d’un tel réseau se heurte à plusieurs objections.

Les vallées en question connaissent souvent une forte nébulosité qui eût rendu bien aléatoire l’utilité de signaux quels qu’ils fussent, surtout pour les tours les plus élevées: Garin est à 1200 m, Gouaux-de-Larboust à 1300 m d’altitude. D’autre part, certaines tours de la même vallée ne peuvent pas communiquer entre elles, séparées qu’elles sont par des éléments du relief. D’autres sont situées dans des vallées terminées par des pentes abruptes et si difficiles d’accès à partir de l’Espagne qu’on les imagine mal servant de routes d’invasion, telles le Val du Louron ou le Val d’Oô.

Ce qui n’est pas le cas, il est vrai, des grandes vallées de la Garonne, de la Pique et de la Neste, où le danger d’invasion est évoqué jusqu’au début du XIX siècle et donne lieu à des travaux de remise en état des défenses.

 

Dernière objection : l’existence et le fonctionnement d’un réseau d’alerte supposent l’existence et le respect d’une autorité politique commune. Or si en vallée d’Aure l’autorité des vicomtes, et au-dessus d’eux celle des comtes de Bigorre, semble réelle dès le XIIsiècle, on ne peut en dire autant des vallées du Comminges qui sont alors bien absentes de l’histoire du comté et que semblent se partager des familles sei­gneuriales : les Saint-Aventin, Saint-Paul, Bezins, Estenos, Saint-Béat. Il faut attendre le XIII siècle et même le siècle suivant pour voir s’y exprimer une autorité supérieure, comtale puis royale.

On doit donc se tourner vers une autre interprétation. La toponymie est sans équivoque: les noms Castelblancat (Saccourvielle), Castelbert (Valcabrère), Castelfort (Burgalays), Castelvieil (Luchon), Castech (Moustajon), Turon del Castet (Lège) et Castet (Oô) renvoient à des châteaux. Et les documents modernes (XVII-XVIII siècles) confirment que ces tours appartiennent bien à des châteaux et qu’elles en sont les donjons.

Reste aussi à comprendre pourquoi ces tours ont été interprétées comme des « tours à signaux ». Une partie de l’explication réside dans leur isolement qui a surpris les historiens des XIX-XX siècles. Elles se dressent en effet en bordure des villages, plus ou moins éloignées selon les cas mais toujours en position marginale.

Par ailleurs, le mythe des tours à signaux est fils de son époque et contemporain de l’invention du télégraphe Chappe qui était entré en fonctions en 1794 lors de l’invasion de la frontière nord de la France par les Autrichiens. La tentation était grande pour les historiens régionaux du XIX siècle, qui ne bénéficiaient pas des connaissances actuelles, de reproduire le schéma du télégraphe Chappe, de le projeter dans le passé et de rapprocher le prétendu danger musulman sur la frontière des Pyrénées à l’époque médiévale, dont le souvenir vivace des « saints militaires » pyrénéens ne permettait pas de douter, de la présence de nombreuses tours. Ils n’y résistèrent pas. D’autres après eux vinrent qui, par respect pour leurs prédécesseurs ou par facilité, se contentèrent de reprendre leurs affirmations…