Les mystères de Cathervielle

« N’ayant qu’une chambre louée pour salle de classe, il est très urgent de construire une maison d’école et de la meubler. M. Fontan, instituteur en retraite, actuellement Maire, me fait espérer que les améliorations ne se feront pas attendre. Le plan et devis sont déjà faits. »

               C’est par ces mots que Jean-Bertrand Mengue traite la question de l’enseignement à Cathervielle dans sa monographie communale datée du 12 juin 1886.
On regrettera d’autant plus cette description fort sommaire que l’instituteur manifeste des qualités littéraires remarquables, autant dans son récit de la chasse que dans la présentation du paysage :
« Les environs de Cathervielle sont délicieux. Ils forment un paysage charmant et sympathique  qu’on aime à première vue. Cette réunion de maisons placées en amphithéâtre ressemble à un petit belvédère. On y jouit d’une perspective magnifique.
Les vents qui circulent doucement sur ce monticule entraînent ou épuisent l’excès d’humidité  dont pourrait être saturée l’atmosphère et y entretiennent pendant l’été une agréable fraîcheur. Aussi quand au milieu d’un air embrasé la campagne ne retentit au loin que du rauque chant du grillon, avec quel doux plaisir ne va-t-on pas s’asseoir sous ces dômes de verdure formés par de vigoureux frênes  que le souffle des zéphirs caresse en balançant sur la cime du tertre enchanté. »

1 – Le mystère de la chambre d’école

Pour seule information sur cette « chambre louée pour salle d’école », Jean-Bertand Mengue en dessine le plan comme il lui était demandé.
Ce plan pourrait permettre de faire quelques hypothèses sur la localisation du bâtiment, compte tenu notamment des trois marches permettant d’y accéder, ainsi que de l’emplacement des ouvertures.
Un premier regard à partir d’une visite virtuelle du village, permet d’identifier une maison qui pourrait répondre à ces critères… A vérifier in situ !
Il ne fait aucun commentaire sur ce local, contrairement à la plupart des auteurs des autres monographies qui décrivent des chambres de dimensions réduites, mal éclairées et mal aérées, sans aucun préau ni dépendances, situées même parfois dans des bâtiments délabrés.

C’est dans les délibérations du conseil municipal en 1882, 1883 et 1884 qu’on en trouve une description, peut-être un peu caricaturale dans la mesure où il s’agissait alors de justifier la construction d’une maison d’école et de faire valoir des arguments pour obtenir des subventions les plus élevées possibles…
Délibération du 8 février 1882 : « vu la grande nécessité d’avoir une maison d’école dans la commune pour sortir les enfants d’une maison malsaine surtout en temps humide où leur santé est gravement compromise et ne trouvant pas d’autre locaux convenable dans la commune pour la loger… »
Délibération du 12 mai 1883 : « vu la grande nécessité de posséder une maison d’école, vu surtout que les enfants sont logés dans une salle de classe très malsaine et presque souterraine et qu’il est impossible de trouver d’autre chambre d’école dans toute la commune, motif très sérieux au vu de la santé de la jeunesse qui fréquente l’école »
Délibération du 5 juillet 1883 : « vu la situation où se trouve la salle d’école inhabitable sous tous les rapports d’insuffisance et de salubrité, considérant que les enfants sont très mal logés et une impossibilité de les loger ailleurs, même l’instituteur sans logement, »
Délibération du 30 mai 1884 : « considérant que la commune est encore aujourd’hui sans local scolaire, que la santé des enfants et de l’instituteur est compromise car la maison d’école ressemble [plus] à une triste écurie qu’à une maison d’école. »

Quant à l’équipement de cette « chambre d’école », il devait être assez rudimentaire. Une délibération du conseil municipal du 8 février 1849 nous apprend l’usage fait par la commune d’une subvention de 30 fr attribuée par le Département :
« La commune a été comprise pour une somme de 30 fr dans l’état de répartition du crédit de 500 fr alloué au budget départemental de 1849 à titre de secours pour achat et renouvellement du matériel et du mobilier de l’école primaire.
Le maire l’a employée de la manière suivante : 15 fr pour payer les restes de la confection de trois tables en bois de frêne et de sapin sur une longueur de trois mètres chacune,  6 fr pour la confection d’un banc en bois de frêne sur une longueur de trois mètres, 3 fr pour achat d’une carte de France, 3 fr pour achat de trois nouveaux testaments, le tout faisant trente francs.
Le conseil considérant que cette dépense est régulière a délibéré et délibère à l’unanimité qu’il y a lieu de l’approuver. »

2 – A la recherche d’un terrain

Les conditions insalubres dans lesquelles fonctionnait l’école de Cathervielle jusqu’au début des années 1880 n’avaient guère ému les conseillers municipaux alors même que, dans ce petit village qui comptait environ 150 habitants dans les années 1830-1870, six enfants de la commune étaient devenus instituteurs :
Jean-Louis Fontan, né le 9/10/1817, instituteur à Billière puis à Cathervielle en 1846-1848, à Cirès en 1860-1862, à Billière en 1864-1877 ; il sera maire de Cathervielle de 1881 à 1887.
Joseph Comet, né le 10/3/1825, instituteur à Garin de 1846 à 1866 puis à Cathervielle de 1866 à 1878
Jean-Pierre Comet, né le 15/3/1835, instituteur à Garin de 1866 à 1886.
Jean-Pierre Lassalle, né le 19/11/1830, instituteur à Gouaux en 1886, après avoir été instituteur à Billière en 1860-1863, à Cathervielle en 1878-1882.
Jacques Seignourat, né le 23/1/1843, instituteur et secrétaire de mairie à Castillon en 1886 après avoir été instituteur à Cazarilh
Louise Lassalle, née le 11/1/1852, fille de Jean-Pierre Lassalle, institutrice à Poubeau en 1886 où elle épousera Pierre-Louis Fourment l’instituteur de Portet.

Il faut bien dire que les maigres ressources de la commune ne permettaient pas d’envisager la construction  d’une école, mais seulement de payer la part fixe du traitement de l’instituteur (200 fr) et son indemnité de logement (40 fr). Quant à la chambre d’école, dans la mesure où le loyer n’est mentionné dans aucune délibération du Conseil municipal, on peut penser qu’elle était louée gracieusement par le propriétaire.

On aurait certes pu imaginer un regroupement de communes pour construire une école, mais ici comme ailleurs les projets de fusion proposés par l’administration étaient refusés comme l’indique la délibération du 14 juillet 1839 :
« Les membres du conseil municipal de la commune de Cathervielle assistés d’un pareil nombre des plus imposés réunis extraordinairement en vertu de la lettre de M. le Sous-Préfet du 9 juillet courant.
Communiqué à l’assemblée par le sieur Périssé, percepteur à Saint Aventin, délégué dans la dite lettre pour procéder à une enquête publique de comodo et incomodo pour la réunion projetée de cette commune avec celle de Poubeau et présent le soussigné.
Monsieur le Maire a communiqué à l’assemblée l’enquête qui venait d’être faite par le dit commissaire, à laquelle ont pris part douze propriétaires seulement et qui ont tous déclaré ne vouloir point acquiescer à la réunion projetée avec la commune de Poubeau.
En conséquence, le dit conseil renforcé délibère à l’unanimité qu’ils sont de même avis que les signataires de l’enquête et qu’ils s’opposent aussi à aucune réunion, ni avec Poubeau, ni avec d’autres communes. »

L’obstacle du financement va disparaître avec la première des grandes lois scolaires de Jules Ferry, celle du 1er juin 1878 sur les ressources affectées à la construction des bâtiments scolaires qui prévoit un fonds de 60 millions de francs pour subventionner les communes « en vue de l’amélioration ou de la construction de leurs bâtiments scolaires et de l’acquisition des mobiliers scolaires ».
Presque toutes les communes vont alors préparer un projet de construction d’école… comme le fait le Conseil municipal de Cathervielle qui se décide enfin en février 1882 à décréter l’état d’urgence après avoir trouvé un local à vendre !

Délibération du 8 février 1882 : « Il y a urgence absolue de travailler à construire une maison d’école. Le maire met sous les yeux du conseil le plan d’un local qui est à vendre et dont il conviendrait de faire immédiatement l’achat… vu surtout la bonne situation de l’immeuble qui se trouve au centre de la commune à une distance de plus de cent mètres du cimetière et portant dans son ensemble la contenance de cinq ares, tout ce qu’il faut pour construire un local scolaire selon les règles voulues par l’administration sur les bâtiments de cette nature. »
Suite à cette délibération, une promesse de vente a été signée « suivant acte à la date du 10 février 1882 moyennant la somme de 1050 francs. »

Pour savoir où se trouve ce terrain et à qui il appartient, il faut lire une délibération datée du 12 mai 1883 :
« Mr le Président communique au conseil l’acte de vente consenti par le sieur Mariette Jean-Marie et Jaunac Jeanne-Marie sa femme tous les deux conjointement et d’un parfait accord, d’une maison avec jardin, écurie et basse-cour, le tout situé à Cathervielle et attenant, de la contenance de cinq ares, terrain nécessaire pour la construction de la maison d’école et le prie de l’approuver.
Le conseil, vu l’acte de vente consenti par le sieur Mariette Jean-Marie… du terrain et d’une bâtisse portant les numéros 123 et 124 du plan cadastral de Cathervielle, acte consenti à Mr le Maire et au nom de la commune sur l’emplacement duquel doit être construite la maison d’école publique mixte de Cathervielle, estime qu’il y a lieu de l’approuver dans tout son contenu attendu que le prix est conforme à la valeur vénale d’un terrain de la commune. »

Sur cet extrait du plan cadastral napoléonien datant de 1837, on trouve deux parcelles numérotées 123 et 124, avec deux corps de bâtiment contigus correspondant probablement à la maison et à l’écurie, et une surface totale d’environ 500 m², le tout situé à un peu plus de 100 mètres du cimetière.

Sur un état de sections de 1838, ces parcelles appartenaient alors à Pascal Barrère. Jeanne-Marie Jaunac qui s’était mariée le 24/1/1876 à Jurvielle avec Jean-Marie Mariette en avait probablement hérité à la mort de son père Jean-Paul Jaunac décédé le 22/1/1881, à moins que ce bien n’ait été transmis dans le cadre du contrat de mariage passé devant Maître Sansot, notaire à St Aventin.
Jean-Marie Mariette et Jeanne-Marie Jaunac auront une fille, Paule Mariette qui épousera Jean-Bertrand Sansuc à Trébons le 18 mars 1906.

3 – A la recherche d’un financement

La question du terrain étant réglée, il fallait également résoudre celle du financement car les subventions de l’Etat et du Département n’étaient attribuées que si deux conditions étaient réunies :
– une part du financement devait provenir des ressources propres de la commune
– les plans et les devis devaient être établis avec précision par un architecte

Rôle de souscription volontaire – Délibération du 12 mai 1883
Pour assurer la réalisation de ce projet dans les conditions énoncées la commune ne peut voter la moindre petite somme attendu que la caisse municipale est dénuée de toute ressource… le conseil municipal approuve le principe d’une contribution volontaire de 50 francs apportée par chaque père de famille et chaque chef de ménage et dont le montant total s’élève à la somme de 1000 francs destinée à la construction de la maison d’école.

Plans et devis de l’architecte – Délibération du 12 mai 1883
Les plans et devis ont été dressés par M. Brévent, architecte de la ville de Luchon. Ils sont été sérieusement étudiés et convenablement établis soit dans l’ensemble, soit dans le détail. Conformément aux recommandations ministérielles, l’architecte s’est attaché à déterminer avec la plus grande exactitude possible le montant de la dépense prévue par le chiffre de … au détail estimatif y compris les frais d’acquisition, le renouvellement du mobilier scolaire, du mobilier personnel de l’instituteur et la création d’une bibliothèque populaire communale.

Ainsi toutes les conditions paraissent remplies et le Conseil municipal envoie donc son dossier au Préfet en soulignant que « la commune de Cathervielle est excessivement pauvre et que le sacrifice personnel que les habitants s’imposent est digne du bienveillant et charitable concours de MM. les membres du Conseil général, de celui de M. le Ministre de l’Instruction publique et du patriotique gouvernement de la République française pour fournir le restant de la dépense totale. »

Hélas, le Sous-Préfet considère que la participation de la commune n’est pas suffisante et il demande au Conseil municipal de se réunir pour trouver de nouvelles ressources.
C’est ainsi que par délibération du 5 juillet 1883, le Conseil municipal décide d’un emprunt de 1200 francs qui sera remboursé en trente ans par prélèvement sur les recettes provenant du rôle de dépaissance. Tous les obstacles semblent désormais levés et la construction de l’école devrait pouvoir commencer sans délai comme c’est le cas dans plusieurs autres communes voisines (Oô, Cazarilh, Benqué, Castillon et St Paul).

4 – Changement de programme

L’une des dernières délibérations figurant dans le registre des archives communales numérisées concerne une demande formulée par M. Castex, architecte, adressée au Conseil de Préfecture. Il ressort de cette délibération datée du 30 mai 1884 que M. Castex réclame à la commune des « honoraires pour avoir réalisé un plan pour l’exécution d’une maison d’école sur une maison appartenant à un propriétaire qui plus tard a refusé la vente. »

Voici la réponse du Conseil municipal :
« Considérant que la commune est encore aujourd’hui sans local scolaire, que la santé des enfants et de l’instituteur est compromise car la maison d’école ressemble [plus] à une triste écurie qu’à une maison d’école.
C’est bien triste et douloureux, la commune aurait fait tous les efforts possibles pour avoir une maison d’école…
Le conseil municipal … a délibéré et délibère qu’il ne croit rien devoir à M. Castex comme ne l’ayant invité à dresser un plan ou l’aurait dressé par suite de la promesse de vente que le propriétaire de la maison lui aurait manifesté, ce qu’il n’a jamais exécuté par délibération du conseil municipal. »

Trois énigmes apparaissent dans cette délibération :
1 – D’une part l’architecte indiqué ici, M. Castex, n’est pas celui qui est mentionné dans la délibération précédente, M. Brévent, ce qui confirmerait que M. Castex avait bien réalisé ces plans de sa propre initiative et sur la foi d’une promesse de vente que le propriétaire lui aurait manifesté. Mais alors pourquoi l’aurait-il fait et pourquoi saisit-il le Conseil de Préfecture ?
2 – Qui est ce M. Castex, architecte ? S’agit-il de Raymond Castex, architecte du Casino de Luchon construit en 1878-1880 ? Il est curieux de constater que sur le site des archives 31 le dessin de la façade du Casino en 1875 est attribué à B. Castex, de même que les plans de l’école de Gouaux de Larboust datés de 1882. Enfin, c’est bien Bernard Castex qui est l’architecte de la villa Luisa en 1884… Y aurait-il deux architectes de la ville de Luchon à cette époque Raymond Castex et Bernard Castex ?
3 – Cette maison dont la vente ne s’est pas réalisée était-elle la même que celle appartenant au couple Mariette pour laquelle l’architecte Brévent avait fait des plans ?

Les délibérations du conseil municipal de Cathervielle figurant dans les archives numérisées s’arrêtant en 1884, il ne semble pas possible de connaître la suite de l’histoire : l’Ecole sera-t-elle finalement construite et sur quel terrain ???

En furetant sur le site des archives on trouve un premier indice datant de 1908 : ce plan figure dans un document daté du 30 octobre 1908 réalisé par l’architecte Laubersac pour la réfection des deux murs de soutènement du cimetière, d’une part au-dessus celui qui borde le « chemin vicinal », et d’autre part au-dessous celui qui borde le « chemin dit de Seigné et de l’Ecole ».

On en conclut qu’en 1908, il y avait probablement une école dans ce secteur, à proximité du cimetière, ce qui ne correspondait pourtant pas aux critères retenus en 1883…
On en trouve confirmation dans un autre document daté du 11 janvier 1909 établi par le même architecte sur le plan général du projet d’adduction d’eau potable de la commune de Cathervielle. L’Ecole a donc été construite à côté de l’Eglise comme on peut le voir sur la carte postale Labouche prise vers 1910 : à quelle date et par quel architecte ?

Le plan d’adduction d’eau de 1909Carte postale Labouche vers 1910
5 – Énigmes à résoudre

On peut donc dire avec certitude que la maison d’Ecole de Cathervielle a bien existé au début du XXème siècle constituant assurément l’un des plus beaux édifices du village, particulièrement visible de loin au premier plan comme sur la photo ci-dessous.

Mais combien de temps a-t-elle fonctionné ? Sur le plan cadastral de 1933 ci-contre, le bâtiment apparaît bien mais il n’est pas mentionné en tant qu’école… Il faut dire que la commune qui avait atteint 177 habitants au recensement de 1841 n’en comptait plus que 64  en 1936… et seulement 34 en 1968 !

Appel à contribution

Ce travail de recherche a été conduit exclusivement à partir des archives numérisées de la Haute Garonne : monographie communale de 1886, délibérations du conseil municipal de 1838-1884, archives communales figurées, état de sections 1838, recensements, état civil, etc…
De nombreuses questions pourraient sans doute trouver des réponses auprès de la mairie de Cathervielle, d’habitants conservant la mémoire du village ou de personnes disposant de documents sur cette époque…
Où se trouvait la « chambre d’école« , à quelle date la « maison d’école » a-t-elle été construite, par quel architecte, jusqu’à quand a-t-elle fonctionné, existe-t-il des témoins qui l’auraient fréquentée, existe-t-il des archives à la mairie ou des documents appartenant à des particuliers, etc… ???
Si vous souhaitez partager les informations et les documents que vous avez, ou si vous connaissez des sources susceptibles d’apporter des réponses à ces questions…

Contact Daniel Gauchon : daniel@gauchon.fr