1884 Choléra et Solidarité

En 1884, le choléra arrive à Toulon par le bateau La Sarthe en provenance de Saïgon. Il gagne ensuite rapidement Marseille et Arles. C’est la cinquième épidémie de choléra depuis le début du 19ème siècle. Elle provoquera un peu plus de 3000 décès dans la ville de Marseille.

Comme on peut le voir sur la carte l’épidémie de choléra semble cependant être restée pour l’essentiel dans le Sud-Est de  la France et dans le Nord-Ouest de l’Italie… Elle a notamment touché Carcassonne comme l’indique un article de La Dépêche du 27/9/2015 :
Après la grave épidémie de choléra survenue en 1854, celle de 1884 apparaît moins meurtrière : 576 décès pour le département dont 162 pour Carcassonne qui fut l’une des villes les plus touchées, après Toulon (378), mais avant Toulouse (73) et Nîmes (35).
Les traitements étaient fantaisistes : se tenir au chaud, rentrer chez soi de bonne heure, éviter la bière jeune, prendre un demi-verre d’huile associé à un vin «généreux»… La saignée était recommandée, mais les sangsues étaient en nombre insuffisant…
L’administration municipale entreprend une campagne d’assainissement avec balayage, nettoiement des rues et mise en place d’un système de collecte des matières fécales : au lieu d’être évacuées par les fenêtres ou vidées dans le ruisseau, elles seraient désormais recueillies par des tonneaux-vidange étanches dans lesquels les citadins devaient vider leurs vases…
Pour la France, le choléra fit au cours du XIXe siècle 500 000 morts, chiffre inférieur à celui des décès par tuberculose ou par typhoïde.

Face à ce nouvel épisode de choléra, Louis Combet, Médecin de la Faculté de Montpellier, et conseiller municipal de Lyon, publie alors une petite brochure où il fait part de ses analyses et de ses propositions fondées sur son expérience dans la lutte contre le choléra à Nîmes en 1865…
Même si on peut s’interroger sur la pertinence des remèdes du bon docteur Combet, entre purification par le feu et potion magique, on lira dans ce texte quelques réflexions philosophiques qui, en avril 2020, sont toujours d’une actualité brûlante… On en trouvera ci-dessous quelques extraits ainsi qu’un lien vers le document original publié sur le site de la BNF.

Le choléra, précautions à prendre en temps d’épidémie cholérique et autres (Louis Combet , Lyon 1884, Source BNF)

Tâchons d’être tous un peu plus dignes du nom d’homme, et ne nous laissons point aller à ces frayeurs exagérées et bêtes qui arrivent à suspendre à la fois le commerce et l’industrie, aussi bien que la vie d’un peuple !

Dès que le fléau, qu’il soit SPORADIQUE ou asiatique se déclare dans un pays, on doit soir et matin allumer de grands feux que ce soit avec le bois ou le charbon de terre.
La flamme dévore les insectes qu’elle attire et décompose les miasmes en gaz inoffensifs. On fait évaporer dans les maisons du vinaigre camphré. On porte sur soi un flacon de sel de Mindérérus ou d’alcool camphré, que l’on flaire de temps en temps. On mange une nourriture aillacée et épicée.

On reste sobre dans ses habitudes, on évite les assommoirs, les brasseries, les boissons glacées et les excès de tous genres, de tous genres, entendez bien jeunes gens, souvent entraînés à la débauche par de vieux viveurs ! Assainissez vos appartements en brûlant du vinaigre, du benjoin ou de l’encens, mais surtout en ne laissant aucun objet susceptible de décomposition dans les coins de vos demeures.
Nous croyons que partout, dans les lycées, écoles, établissements quelconques, où se trouvent des préaux suffisants, on ferait bien de mettre ces conseils à exécution, et d’allumer des feux chaque soir, ce qui serait une joie pour les enfants autant qu’une mesure de salubrité et de préservation pour tout le monde.
[En cas de maladie]… Tout d’abord, envoyez chercher un médecin ; mais, en attendant son arrivée, voici ce qu’il importe de
faire : lavements, infusions chaudes (fleurs de bourrache et menthe additionnée d’une petite cuillerée de rhum par grande tasse), frictions, cataplasmes, potions aromatiques légèrement laudanisées (infusée de germandrée et bourrache, teinture de cannelle, Rhum vieux, Liqueur d’Hoffmann… )

La SOLIDARITÉ, cette grande loi de la nature, que méconnaissent trop les hommes, peut seule nous guérir du choléra comme de tous les autres fléaux. Que nul ne se sauve, poussé par la peur et l’égoïsme; mais que tous s’entraident fraternellement, dans la cité frappée par le fléau, pour le détruire.

On trouvera également dans le journal Le Petit Marseillais du 19 juillet 1884 (page 4), des annonces publicitaires pour des  remèdes assurément tout aussi efficaces… et dans le Journal Nice-Matin du 3/2/2020 un article sur l’épidémie de choléra à Nice en 1884 où alcool et fumigations avaient précédé la chloroquine.

Certes cet épisode cholérique de 1884 peut paraître fort anecdotique au regard du nombre de victimes mais il s’inscrit dans ces grandes épidémies qui depuis l’Antiquité ont marqué la vie des femmes et des hommes…
Certaines vallées pyrénéennes ont même été durement touchées comme on le verra plus loin avec les « nuées cholériques » du Rossignol et du Ger…
Et puis d’autres en ont également souffert de manière indirecte, comme on peut le lire dans le registre des délibérations du conseil municipal de la petite commune de Oô en plein cœur des Pyrénées.

En ce temps là, le tourisme pyrénéen était déjà très actif, en particulier autour de la station thermale de Bagnères de Luchon où le chemin de fer était arrivé en 1873.  
Dès le début du 19ème siècle, pour accueillir les touristes, un particulier avait même construit une baraque et une barque au Lac de Séculège (appelé aujourd’hui Lac d’Oô), lac de montagne à 1500 m d’altitude auquel on accédait, et on accède toujours, par un sentier après une heure de marche.
En 1833 la commune de Oô avait racheté la baraque et la barque et elle y avait mis un « fermier » moyennant une location annuelle fixée à 80 fr en 1840.  Elle avait ensuite fait construire en 1859 une hôtellerie pour une somme de 11 250 fr qu’elle avait remboursée par annuités de 1000 fr grâce aux revenus du bail qui  se montait au départ à la somme de 2975 fr par an et avait atteint 4375 fr en 1884.

Mais cette hôtellerie était tributaire des aléas liés aux crues qui détruisaient régulièrement le pont permettant d’y accéder, ainsi que d’une concurrence qui ne permettait pas toujours au fermier de rentabiliser sa location…
Et puis, en 1884, elle a dû subir les conséquences du choléra, même si le préjudice reconnu par le conseil municipal n’a pas été aussi important que le réclamait le fermier !

Délibération du Conseil municipal de Oô du 8 novembre 1884
(Source : archives numérisées de la Haute Garonne)

Monsieur le Président communique au Conseil une lettre en date du 15 octobre dernier formulée par M. Laurens Jean-Marie fermier de l’hôtellerie du Lac de Séculège [Lac d’Oô], lettre par laquelle le sieur Laurens demande une réduction de 1500 fr sur le prix du fermage de l’année courante qui s’élève à 4375 fr
Le Conseil, considérant que la saison d’été 1884 a été gravement atteinte dans son importance à cause de l’épidémie cholérique qui a sévi sur plusieurs points de la France,
Considérant que cette épidémie a éloigné de la station thermale de Luchon non seulement beaucoup de Français mais encore la totalité des étrangers notamment les Anglais et les Espagnols qui avaient coutume d’arriver en grand nombre, ce qui doit avoir empêché le fermier d’effectuer les recettes qui se réalisent dans cet établissement pendant une année ordinaire,
Considérant qu’il importe à la commune dans l’intérêt des adjudications à venir de dégrever dans une juste proportion le fermier actuel pour des pertes qui résultent d’un cas purement fortuit,
Délibère : une réduction de 400 fr sera accordée au sieur Laurens sur le prix de son fermage de l’année 1884 et un crédit de pareille somme sera ouvert au budget de la même année pour couvrir ce déficit.

Quelques documents photographiques datant du début du XXe siècle témoignent de l’activité touristique générée par le Lac :
– le stationnement au Val d’Asto qui donnait lieu en 1901 à la perception d’un droit basé sur la superficie du terrain occupé : cheval de selle 2 fr, cheval de trait 2 fr, voiture ordinaire à 2 roues 3 fr, voiture ordinaire à 4 roues 5 fr, voiture automobile 8 fr
– la promenade sur le Lac où le cahier des charges de 1883 prévoyait que la barque municipale ne pouvait accueillir plus de dix personnes pour un circuit dont la durée était fixée à 35 minutes au tarif de 1,25 fr par personne pour une traversée directe et 1,50 fr pour une traversée circulaire !
– l’hôtellerie du Lac de Séculège dont le bail qui comprenait le bâtiment communal et ses dépendances, le lac, le bateau et les pâturages aux environs du lac, fixait les conditions d’exploitation. Ainsi, en 1883, il était précisé que le fermier devait être constamment pourvu de pain, de vin et d’eau de vie qu’il ne pouvait vendre qu’aux prix ci-après : 0,15 le kg de pain, 0,15 le litre de vin et 0,25 le litre d’eau de vie…

Les « nuées cholériques » sur les rives du Rossignol et du Ger en 1884

Alors que la Société des Etudes du Comminges avait été créée en 1884, dans son premier bulletin publié en 1885 sous la direction de Julien Sacaze, un article est consacré à l’épidémie de choléra dans l’arrondissement de St Gaudens en 1884 (pages 119 à 135).

On trouvera ci-dessous un lien vers ce document qui est en ligne sur le site de la BNF ainsi qu’un résumé des propos du Dr Chopinet qui relate avec une grande précision la propagation de l’épidémie entre les deux villages de Milhas et de Soueich suivant le cours des ruisseaux du Rossignol et du Ger, et qui développe ensuite sa théorie personnelle sur le mode de transmission du choléra qui a fait ici 53 morts en six semaines, du 15 juillet au 31 août 1884. Preuve que le débat scientifique sur ces questions de contamination était déjà d’actualité !

Contribution à l’Histoire du Choléra dans l’arrondissement de St Gaudens en 1884
Dr Chopinet – Revue de Comminges – Année 1885 – Source BNF

A Marseille, paniqué par le développement du choléra, le sieur Barès qui habitait la ville avec ses deux filles, décida de rentrer dans son village de Milhas où ils arrivèrent le 15 juillet 1884. Quelques jours plus tard, sa femme et l’une de ses filles seront les premières victimes, créant une vive émotion dans le village et les communes voisines, et on prit immédiatement des mesures énergiques pour arrêter le mal : désinfection de la maison, incinération des vêtements, relégation des survivants de la famille dans une grange isolée.

Hélas à partir du 3 août on déplore de nouvelles victimes, à Milhas d’abord puis dans les villages en aval sur une dizaine de km : Sarradère, Fontagnères (Aspet), Cerciat, Oueillas, et enfin Soueich. Mis à part deux cas importés à St Gaudens par un habitant d’Aspet, l’épidémie ne dépassera pas le village de Soueich et s’arrêtera brusquement début septembre après avoir contaminé 91 personnes et fait 53 victimes.

Le Dr Chopinet ne conteste pas que la présence des cours d’eau aient « exercé une influence prépondérante sur le mode de développement de l’épidémie » mais il ne croit pas, contrairement à la thèse la plus communément admise, que ce soient les eaux de ces deux ruisseaux qui aient servi de véhicule aux germes cholériques, que ce soit par consommation directe ou par lavage du linge.

Selon lui, les « nuées cholériques » sont contenues dans l’atmosphère. Dans une vallée étroite comme celle qui s’étend de Milhas à Soueich l’écoulement des eaux du torrent crée un vide qui provoque le déplacement de la couche d’air superficielle. Or, pendant toute la durée de l’épidémie, l’air a été le plus souvent calme et l’atmosphère virulente de Milhas a pu ainsi se transporter lentement de village en village… . Il prétend même que  les oiseaux perçoivent cette modification de l’atmosphère et s’éloignent de la région atteinte, ce qui aurait été observé dès le début de l’épidémie à Aspet, les oiseaux revenant au mois de septembre lorsque le mal eut cessé ses ravages.

Dernière minute – Lien entre la propagation du coronavirus et le taux d’humidité de l’air ?
Le président de l’Association Climatologique de la Moyenne Garonne annonce avoir lancé une étude sur le lien entre la propagation du coronavirus et le taux d’humidité dans l’air (La Dépêche du 20/4/2020), hypothèse qui n’est pas très éloignée de la théorie du Dr Chopinet…